mercredi 27 novembre 2024 01:42

L'intégration, « une trahison de la modernité »

Face aux modèles classiques de l’intégration à la française ou de l’inclusion à l’anglo-saxonne, le sociologue Raphaël Liogier défend l’idée de « participation ». Il interviendra le 19 novembre aux Assises nationales de la diversité culturelle.

TC : Quels sont les principaux modèles proposés pour répondre à la question soulevée par la diversité culturelle ?

Raphaël Liogier : En France, on parle d’intégration et parfois même d’assimilation. On a l’impression que l’objectif est de « digérer » un élément extérieur. Dans le monde anglo-saxon, on emploie l’expression d’inclusion qui a au moins un avantage : s’opposer à l’idée d’exclusion. Mais si on inclut des gens dans un tout sans les transformer, on suppose aussi que, pour le reste, ils doivent s’en sortir tout seuls. Dans la tradition française moderne, ré­pu­blicaine, on es­time qu’il existe des iné­galités liées à notre situation so­ciale, à notre naissance, et qu’il convient de les compenser en partie pour que l’égalité entre les citoyens ne soit pas seulement formelle.

Vous proposez l’idée de « participation ».

Je ne suis pas le premier. J’ai retrouvé cette définition de la citoyenneté comme participation chez Sartre, dans ses Réflexions sur la question juive. Pour Sartre, les sociétés européennes reprochent tout simplement aux juifs d’être différents et de ne pas vouloir cesser de l’être. Or, la citoyenneté, ce n’est pas l’uniformité, c’est le fait d’accepter que ceux qui sont là participent. Le seul fait de participer économiquement à la richesse nationale légitime et donne droit à la participation au sens civique et politique.

C’est quelque chose de nouveau à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Nous sommes aujourd’hui dans ce qu’on pourrait appeler le « paradigme du repas de famille ». Nous pouvons être tentés de penser que certaines personnes, parce que leurs grands-parents ne sont pas nés en France, parce qu’ils sont musulmans ou pour d’autres raisons, sont des invités au repas de famille et qu’ils doivent donc être particulière­ment polis et bien se tenir à table.

Mais on oublie qu’ils sont à la cuisine comme les autres et qu’ils participent à la fabrication du repas. Il est donc légitime qu’ils participent aussi à l’élaboration des règles communes. Il n’est pas possible de dire : s’ils ne sont pas contents, qu’ils retournent chez eux. De toute façon, les règles du vi­vre-en­sem­ble ne sont pas définies de toute éternité.

On va vous accuser de relativisme ou de postmodernisme…

Ce serait une er­reur. On veut nous faire croire que la modernité équivaudrait au règne de la raison contre des traditions forcément irrationnelles. C’est un peu rapide. La modernité, c’est avant tout la constitution d’un espace juridique, politique et social de coexistence des différents modes d’être. En d’autres termes, c’est précisément l’annonce d’une société multiculturelle.

C’est pour cela que la notion « d’ordre public » a été inventée, parce qu’il fallait gérer et assumer la pluralité au sein d’un espace commun. Ce qu’on nous présente aujourd’hui comme étant la modernité, par exemple à travers un certain type de républicanisme unificateur, est à mon avis une trahison de la modernité.

Pour les 70 ans de TC, venez dire « Oui à une société interculturelle ! », le 19 novembre à Paris

Angela Merkel en Allemagne, David Cameron au Royaume-Uni, Nicolas Sarkozy en France, Silvio Berlusconi en Italie, Pal Shmitt en Hongrie…

À l’heure où la diversité culturelle de nos sociétés est de plus en plus remise en cause voire décriée par les acteurs politiques européens, Témoignage chrétien et son partenaire Salam News lancent le 19 novembre au Centre Sèvres à Paris un mouvement de mobilisation en faveur des« racines interculturelles » de la France.

Une trentaine d’intervenants participeront aux débats et échanges pour montrer la richesse et la force d’une société qui – même s’il n’est pas simple à gagner – fait le pari de l’interculturel, et présenter les actions engagées en sa faveur. Participeront notamment ce jour-là : l’ambassadeur de France Stéphane Hessel, le sociologue Alain Touraine, l’historien et sociologue spécialiste de la laïcité Jean Baubérot, l’historienne et séna­trice Esther Benbassa, l’islamologue Rachid Benzine, l’écrivain Michel Sauquet, le sociologue et philosophe directeur de l’Observatoire du religieux Raphaël Liogier, l’anthropologue spécialiste de la diversité culturelle dans la société française, Dounia Bouzar…

Plus de vingt associations, médias et organisations parmi lesquels le Secours islamique, Emmaüs International, le CCFD, la Cimade, la revue Hommes et migrations, ATD Quart-monde, Habitat et humanisme, le Centre Sèvres, Radio Orient… se sont associés à ce mouvement et signeront l’Appel pour la (re) construction d’une société interculturelle lancé à cette occasion et présenté aux candidats aux élections présidentielle et législative en 2012.

Vous aussi, vous êtes invités à signer cet appel et à participer à cette première journée pour dire haut et fort « Non la société multiculturelle n’est pas un échec, oui, elle est une force et notre richesse ! ». Plus nous serons nombreux, plus notre voix sera entendue !

Paris, le 19 novembre, de 9 h à 18 h, au Centre Sèvres, 75006 Paris.

13/11/2011, Jérôme Anciberro

Source : Témoignage chrétien

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