mardi 26 novembre 2024 19:32

L'Islam et l'Occident, l'Islam dans les pays occidentaux

Les révolutions en Tunisie et en Égypte ont offert l'exemple de transitions de pouvoir essentiellement pacifiques, après des décennies d'un ordre politique autoritaire et inflexible. Et pourtant, ces changements, et ceux dans d'autres pays arabes, ont pris le monde par surprise. La question du « printemps arabe» domine les médias et le débat politique des pays occidentaux depuis des mois. De nombreux musulmans vivant dans ces pays suivent aussi de très près les événements dans la région, en espérant que leurs coreligionnaires puissent bientôt bénéficier d'une liberté, d'une protection et de droits plus importants, comme eux-mêmes en profitent depuis plusieurs décennies.

Mais rien ne garantit que ces changements auront une issue pacifique. En fait, la situation actuelle en Libye, au Bahreïn et au Yémen est extrêmement préoccupante et trouver des solutions politiques viables dans ces pays présentera des difficultés non seulement pour le monde musulman, mais également pour les pays occidentaux et la communauté internationale en général. Il serait toutefois faux de limiter la relation entre le monde islamique et l'Occident aux soulèvements populaires actuels du monde arabe. Un autre aspect important de cette relation est l'Islam au sein des pays occidentaux – c'est-à-dire les questions concernant les musulmans vivant dans les sociétés occidentales, en Europe en particulier. Un rapport publié en mai 2010 par le Conseil de l'Europe, intitulé L'Islam, l'islamisme et l'islamophobie en Europe, reconnaît la présence des musulmans en Europe depuis plusieurs siècles et la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne.

Et pourtant, comme ce rapport le relève également, les musulmans vivant en Europe se sentent aujourd'hui exclus, stigmatisés et victimes de discriminations. Ils sont devenus les boucs émissaires de stéréotypes liés à leurs traditions religieuses et culturelles. Une vague montante de rhétorique islamophobe s'affiche dans la presse généraliste européenne et au sein de certains partis politiques – notamment le Parti populaire danois, le Front national français, le Parti pour la liberté néerlandais, l'Union démocratique du centre en Suisse, La Ligue de défense anglaise, la Ligue du Nord italienne, et le Parti autrichien de la liberté. Des partis de même obédience existent ou émergent ailleurs en Europe. Cette situation reflète la méconnaissance de la part de nombreux Européens des racines communes et des liens historiques entre le monde islamique et l'Occident. Elle montre aussi qu'il est nécessaire d'établir une nouvelle relation, basée sur la compréhension, la tolérance et le respect de la diversité culturelle. Selon un rapport de la Pew Foundation de septembre 2010 sur La religion dans la vie publique, le nombre de musulmans dans les pays d'Europe occidentale s'élève à 17 millions.

Dans des pays comme l'Autriche, la Belgique, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse, les musulmans représentent 5 pour cent ou plus de la population. Ils doivent être encouragés à jouer un rôle à part entière au sein de leur collectivité et dans la vie publique. Seconde organisation intergouvernementale mondiale en ordre d'importance, l'Organisation de la conférence islamique (OCI) s'attache à coopérer avec la communauté internationale pour promouvoir et consolider la paix, la stabilité, l'harmonie, la sécurité et le développement. Comme je l'ai souligné à de nombreuses reprises, l'OCI est guidée par les principes de modération et de modernisation. Les principaux documents de travail de l'OCI, tels que son Programme d'action décennal et sa nouvelle Charte, sont autant de feuilles de route visionnaires destinées à relever les défis auxquels l'Islam est confronté en ce début du XXIe siècle. Les différentes cultures doivent se compléter et s'enrichir mutuellement.

La tolérance, la stabilité et la prospérité dépendent de la capacité des communautés et des cultures à se respecter et à communiquer entre elles. S'opposer à l'islamophobie ne revient pas à nier l'existence de sentiments haineux à l'encontre d'autres religions et nous, musulmans, devons prêter main forte à la lutte contre l'antisémitisme, la christianophobie, et les idées fausses concernant la culture occidentale. Nous ne devons pas devenir les otages de nos extrémistes. Alors que l'ensemble de la communauté internationale combat aujourd'hui la radicalisation et le terrorisme, nous pensons fermement que cet effort doit participer d'une entreprise globale visant à établir un monde meilleur, basé sur la diversité culturelle et dans lequel la dignité humaine, les droits humains et le droit fondamental à la liberté doivent être pleinement respectés. Lorsque Barack Obama est devenu président des Etats-Unis, il s'est engagé à ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre le monde islamique et l'Occident. Lors de sa première visite à l'étranger en tant que président, il a dit lors d'une allocution devant le Parlement turc, que :

« Les Etats-Unis ne sont pas, et ne seront jamais, en guerre contre l'Islam… La relation des Etats-Unis avec la communauté musulmane, le monde musulman, ne peut pas, et ne sera pas, uniquement basée sur la lutte contre le terrorisme. Nous voulons un engagement plus large basé sur des intérêts et un respect mutuels. Nous écouterons attentivement, nous dépasserons les malentendus, et nous chercherons un terrain d'entente. Nous ferons preuve de respect, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Nous ferons connaître notre profonde appréciation pour la foi islamique, qui a tant fait au cours des siècles pour façonner le monde – y compris mon propre pays ». Même si de nombreux obstacles se sont dressés sur la route de relations harmonieuses, cette année-ci pourrait offrir une occasion unique pour forger un nouveau discours de tolérance et de compréhension entre les peuples du monde islamique et de l'Occident.

Nous devrons peut-être nous tourner vers les communautés musulmanes des sociétés occidentales pour qu'elles nous indiquent la voie à suivre à l'avenir. D'autres occasions d'échanges approfondis entre musulmans et non musulmans doivent être trouvées et encouragées, à la fois aux niveau individuel et institutionnel. À la lumière du nouveau climat potentiel d'ouverture politique dans les pays à majorité musulmane, ces échanges devraient être plus possibles que jamais auparavant. De manière plus importante, les organisations et les particuliers engagés doivent s'unir et se mobiliser pour isoler les extrémistes – et rester unis pour développer la culture de tolérance et de respect nécessaire à la pleine jouissance de nos droits. Cette voie est la seule voie d'avenir pour le monde islamique et pour l'Occident – et pour l'islam au sein des pays occidentaux.

14/4/2011, Ekmeleddin Ihsanoglu

Source : Le Matin

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