mardi 26 novembre 2024 13:24

La Bulgarie renforce son nouveau "rideau de fer" contre les migrants

Au temps de la Bulgarie communiste, les barbelés du village de Chtit verrouillaient toute sortie du monde soviétique. Une clôture flambant neuve à cette frontière avec la Turquie barre aujourd'hui l'entrée en Europe aux migrants en quête de nouvelles routes.

Le destin de ce bourg d'une centaine d'âmes, à l'extrême sud-est du pays, semble écrit. Débaptisé de son nom turc en 1932, il a alors été renommé Chtit, qui signifie "bouclier" en bulgare.

Les pauvres masures posées au milieu des champs, une population de retraités, une caserne abandonnée ne lui donnent pas vraiment l'allure d'un avant-poste de la défense nationale, face à la Turquie, et à une quinzaine de kilomètres de la Grèce.

Mais depuis deux mois, deux longues rangées de barbelés, bien visibles depuis le village, "nous mettent en sécurité" se félicitent les habitants qui témoignent du passage épisodique de migrants clandestins par ce bout de "frontière verte".

Surprise fin 2013 par une vague de demandeurs d'asile de Syrie et d'Irak, la Bulgarie avait été, avec la Grèce, le premier pays des Balkans à dresser une clôture frontalière, imitée depuis par la Hongrie, la Slovénie et même l'Autriche face à une crise migratoire sans précédent.

Les trente kilomètres de barbelés initialement posés par Sofia en 2014 à sa frontière avec la Turquie ont progressé pour atteindre aujourd'hui 95 kilomètres.

Depuis la fermeture, début mars, de la route des Balkans de l'ouest puis l'accord entre l'UE et la Turquie sur le renvoi des migrants arrivés en Grèce, les autorités bulgares ont engagé une course contre la montre pour prolonger le dispositif, craignant un report du flux migratoire vers leur pays.

"Nous continuons au rythme accéléré de 6 km par mois", assure Stanislav Detchev, gouverneur régional de Haskovo (sud). Des grilles entravent même le lit des rivières.

"L'équipement provisoire d'obstruction", selon l'appellation officielle, doit atteindre 132,5 km d'ici fin juin, soit la moitié de la frontière terrestre bulgaro-turque, longue de 269 km.

Dans les douces collines de la zone frontalière de Haskovo, non loin de Chtit, une voie a été ouverte pour faciliter le déplacement des gardes-frontière.

Miroir de l'Histoire

Elle offre un curieux reflet de l'histoire: d'un côté se dresse la clôture flambant neuve pour arrêter les migrants, de l'autre courent toujours les barbelés de l'époque communiste, rouillés mais encore debout, comme lorsqu'ils servaient à retenir les Européens de l'Est voulant fuir le régime. Certains gardes-frontières actuels étaient déjà en poste au temps du rideau de fer.

De l'époque de la Guerre froide, les habitants de la zone frontalière ont gardé l'habitude de signaler tout mouvement suspect.

"Dès que nous voyons des gens approcher, nous les signalons aux collègues turcs pour les renvoyer", explique aujourd'hui un policier.

"Nous sommes le pays le plus pauvre de l'UE, on ferait mieux d'augmenter nos pensions plutôt que de nourrir des étrangers", estime Ivanka Karamonova, 72 ans, une habitante de Chtit.

A ce stade, il n'y a cependant "pas de signe d'un détournement du flux migratoire vers la Bulgarie", a nuancé cette semaine Radoslav Stamenkov, chef de mission de l'Office international pour les migrations (OIM) dans le pays.

La ministre autrichienne de l'Intérieur Johanna Mikl-Leitner, dont le pays a initié la fermeture du corridor migratoire via la Macédoine, est persuadée du contraire. Après une récente visite à Sofia, elle a souligné la nécessité de "fermer la route des Balkans de l'Est" via la Bulgarie.

Quelques 30.000 migrants ont été enregistrés en Bulgarie en 2015 et au moins autant d'autres sont passés clandestinement, selon des estimations. Soit une fraction des plus de 850.000 personnes passées par la Grèce.

"Sur les sites internet guidant les migrants, une traversée de la Bulgarie est déconseillée", assure l'expert Vladimir Tchoukov, en raison notamment de la fermeté des autorités et des mauvais traitements qui leur sont imputés, régulièrement dénoncés par les ONG.

Deux exercices de ses forces de l'ordre munis de véhicules blindés et d'hélicoptères se sont déroulés en mars au croisement des frontières grecque, macédonienne et bulgare. Un exercice sur la Mer Noire est aussi prévu.

"Ce n'est pas pour tirer sur les réfugiés, mais pour les arrêter et les renvoyer", a assuré le chef du gouvernement Boïko Borissov.

24 mars 2016,Vessela SERGUEVA

Source : AFP

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