mercredi 27 novembre 2024 07:35

La délicate mission des interprètes pour migrants

Alors que l’Organisation internationale pour les migrations vient d’annoncer que plus d’un million de migrants sont entrés en Europe en 2015, les interprètes n’ont jamais été autant sollicités.

Ancien professeur d’histoire à la retraite de 69 ans, Hopiel Ebiatsa a été recruté par Osiris, un centre de soins spécialisé dans le soutien thérapeutique aux victimes de torture et de répression politique. La structure, basée à Marseille, avait besoin d’une personne parlant le lingala (langue véhiculaire en République démocratique du Congo). Le bouche-à-oreille a fait le reste.

Hopiel Ebiatsa est rattaché aux services d’un psychologue. « Il est vraiment essentiel pour notre travail et nous permet d’appréhender avec exactitude les traumatismes des migrants, en retranscrivant leur parole mais aussi en nous apportant des éclairages sur leur culture », explique Julia Masson, coordinatrice au sein d’Osiris.

« Mourir dans des embarcations de fortune »

L’établissement accueille chaque année 150 à 160 patients de différentes nationalités : Albanais, Soudanais, Nigérians, Congolais ou Afghans, pour la plupart des demandeurs d’asile envoyés par des centres d’accueil.« Certains ont vu des personnes mourir dans des embarcations de fortune lors de leur traversée en mer », raconte Julia Masson. Des parcours d’exil souvent partagés avec l’interprète.

Pour ne pas se laisser envahir par l’émotion, Hopiel Ebiatsa essaie de « garder ses distances ». En 2013, il a suivi Elikia, un jeune opposant politique qui avait fui la République démocratique du Congo. « J’ai essayé de ne pas être dans l’empathie mais c’était difficile, confie Hopiel Ebiatsa . Comme moi, Elikia est loin de son pays, loin de ses proches. » L’homme qui sert désormais d’interprète pour des migrants africains à Marseille, est lui-même arrivé en France il y a près de cinquante ans.

Djené Diallo est interprète pour Inter Service Migrants Méditerranée, une association spécialisée dans l’interprétariat en milieu social depuis 1970. A l’instar d’Hopiel, cette interprète guinéenne de 45 ans, qui parle couramment sept langues (français, soussou, malinké, bambara, wolof, peul et créole portugais) a appris à se « blinder ».

Il lui arrive parfois de se reconnaître dans l’histoire des personnes qu’elle rencontre. « Je suis une femme guinéenne qui a été excisée et qui ne peut plus avoir d’enfants. Quand je dois traduire un témoignage, je ne regarde pas la personne, je fixe mon attention sur un objet. Car je refuse que son récit atteigne mon cœur », explique Djené. « Certains me demandent de mentir et d’arranger leur histoire mais je leur dis de dire la vérité car c’est le seul moyen de les aider », ajoute l’interprète.

Médiateurs « témoins du monde »

Si Djené exerce ce métier, où elle est payée 25 euros par heure, depuis plus de deux ans et demi, rien ne l’y prédestinait. En 2009, la jeune femme est arrivée à Marseille en bateau depuis la Guinée, après une escale de deux ans au Sénégal. Elle a dû fuir son mari violent, qu’elle avait épousée de force et forcée à se faire exciser à l’âge de 15 ans. Après plusieurs emplois comme médiatrice scolaire et femme de ménage, un poste d’interprète et médiatrice au sein de l’association culturelle Sauvergarde 13.

Comme les autres interprètes-médiateurs, également désignés « témoins du monde » au sein de l’association, Djené essaie d’aider à une meilleure appréhension de la situation des migrants du fait de leur origine commune avec eux. « Cela nous permet d’élargir et d’interroger les logiques culturelles qui pourraient affecter le mental », souligne Said Ibrahim, pédopsychiatre intervenant au sein de l’association Sauvergarde 13.

Une fois par semaine, le pédopsychiatre et son équipe, accompagnés d’un « témoin du monde », reçoivent les soignants pour tenter de les sortir de l’impasse culturelle dans laquelle ils se trouvent. Une chance pour Djené qui, grâce à ce travail de médiatrice, a pu se mettre en contact avec d’autres services qui recherchaient des interprètes.

11.01.2016, Stéphanie Plasse

Source : Le Monde

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