vendredi 29 novembre 2024 00:52

La fin du trafic d'êtres humains

Plus de 2000 personnes se noient chaque année en Méditerranée en tentant de rejoindre clandestinement l'Europe et bien d'autres subissent toutes sortes d'abus en essayant de migrer vers les pays riches, et ce, moyennant des sommes exorbitantes : pour passer aux Etats-Unis par exemple, les Mexicains paient environ 4,000 dollars et les Chinois plus de 35,000 dollars. Ces tragédies humaines sont d'autant plus insupportables qu'elles profitent au crime organisé. Elles génèrent plus de 5 milliards de dollars par an aux Etats-Unis et 4 milliards d'euros par an dans l'Union Européenne. Des mafias internationales ont ainsi intégré le trafic d'êtres humains au trafic de drogue et de prostitution, posant une véritable menace à l'Etat de Droit dans les pays concernés.

Est-il possible d'éliminer le trafic d'êtres humains ?

De ce point de vue les politiques actuelles qui combinent rationnement des visas et répression de la migration illégale s'avèrent très inefficaces.

Elles ont même tendance à renforcer la position des intermédiaires puisque les candidats à la migration sont obligés d'en passer par eux. En effet migrer illégalement nécessite aujourd'hui un réseau à même de fournir de nombreux services incluant transport, hébergement, nourriture, et souvent aussi travail et faux papiers.

Pour lutter contre ces mafias une première idée consiste à vendre des visas. Si leur prix est comparable à celui pratiqué sur le marché des passeurs cette politique a l'avantage de renflouer les caisses de l'Etat au détriment des réseaux criminels. Elle a cependant l'inconvénient d'augmenter le flux total de migrants et surtout de ne pas aboutir à l'élimination des mafias. En effet ces dernières vont réagir à la vente de visas en baissant leurs prix pour attirer des candidats qui ne seront pas assez riches pour acheter un visa.

Les hommes politiques sont donc confrontés à un dilemme: soit réguler la migration avec l'aide de cartels mafieux comme c'est le cas à présent soit vendre des visas en augmentant fortement les flux migratoires. Une telle politique peut être difficile à soutenir dans des sociétés qui veulent contrôler les flux migratoires.

Cependant dans une étude récente du CEPR nous montrons qu'une politique plus innovante qui combinerait la vente de visas à divers types de répression permettrait de lutter efficacement contre les passeurs tout en contrôlant les flux migratoires – le nombre de migrants désiré pouvant varier en fonction des objectifs choisis par la société.

Notre idée est de vendre des visas au prix qui érode les profits des passeurs, ce qui est sa principale innovation. En pratique ce prix doit être assez bas pour éliminer cette activité lucrative. Mais si l'on veut limiter l'afflux migratoire qui s'ensuivrait, cette politique doit être couplée à un accroissement de la répression contre les passeurs et contre les employeurs de sans papiers. En effet, un accroissement des couts à opérer des passeurs, du risque de reconduction aux frontières et des sanctions vis à vis des employeurs diminuent l'attrait de la migration clandestine et érode les profits des passeurs. Cette politique permet donc d'éliminer le trafic d'êtres humains tout en vendant des visas à un prix plus élevé. Un autre avantage de cette politique est de ne pas peser sur les dépenses publiques puisque la vente de visas génère de nouvelles recettes.

Combiner de manière efficace ces différentes mesures suppose une meilleure connaissance du marché de la migration illégale. De plus cela ne manquera pas de soulever l'opposition de groupes de pression très influents à commencer par les lobbies d'employeurs comme on le voit déjà aux Etats-Unis à l'encontre du système E-Verify permettant aux employeurs de contrôler sur internet la légalité du statu de leurs employés. Redéfinir une politique migratoire plus efficace pour éliminer le trafic d'êtres humains nécessite de remettre en cause un équilibre politico-économique complexe, ce qui appelle au débat démocratique et requiert une grande volonté politique.

09.10.2012, Emmanuelle Auriol et Alice Mesnard

Source : Le Monde.fr

 

Google+ Google+