mercredi 27 novembre 2024 23:37

La Flandre, le pays où l'on se couche tôt

Les Flamands ne vivent pas dans la rue, ils vivent principalement dans leur maison. Les Flamands aiment le calme, après 10 heures du soir on ne peut plus faire de bruit. En Flandre, les gens ne se rendent pas visite sans prévenir : ils prennent généralement d'abord rendez-vous, ils sont attachés à leur intimité. Les Flamands sont ponctuels ; si vous devez faire quelque chose à 9 heures vous le faites à 9 heures. Il ne pleut pas d'argent en Belgique." Etc, etc.

Ces florilèges, affligeants par leur banalité et insultants par leur généralisation, sont extraits de "Migrer en Flandre", un coffret d'introduction pour ceux qui voudraient s'installer dans cette région de Belgique qui rêve d'autonomie, voire d'indépendance, et songerait désormais à accorder 40 % de ses suffrages au parti séparatiste de Bart De Wever, chef de l'Alliance néo-flamande (NVA) et candidat déclaré à la mairie d'Anvers.

Le document et le DVD qui composent le coffret ont déjà une version en langue arabe et une autre en français. Ils seront bientôt traduits en turc et en russe. Le 7 mai, le projet a été présenté par son promoteur, Geert Bourgeois, à Casablanca. M. Bourgeois, membre de la NVA, est le ministre de l'intérieur et de l'intégration en Flandre. Ce citoyen d'Izegem au patronyme francophone est un vieux routier du combat flamingant dans sa version idéaliste et romantique. Celle d'une nation une et indivisible rassemblée par une langue et une culture qu'il faudrait défendre contre "l'impérialisme fransquillon" et, désormais, un muticulturalisme aux effets tout aussi désintégrateurs.

Devant les journalistes marocains, M. Bourgeois a souligné que, contrairement aux Pays-Bas voisins, la Flandre n'obligeait pas à une connaissance préalable du néerlandais. Il a voulu défendre son "parcours d'intégration civique" - "inburgering" - une "politique inclusive" mise en place en 2006, et qui vise, insiste-t-il, à offrir une vraie chance d'intégration à ceux qui bénéficient des règles du regroupement familial et forment désormais l'essentiel de l'immigration. Quelque 2 700 Marocains ont bénéficié de ces dispositions en 2011. Et, au total, 65 000 migrants - dont des Français - ont déjà suivi l'"inburgering", censé les guider sur "la bonne voie de la société flamande", comme le dit le ministre.

Curieux et nuancés, une bonne partie des journalistes marocains auxquels s'adressait M. Bourgeois ont parfois évoqué "une belle trouvaille" et souvent trouvé positif le principe de faire connaître la société d'accueil et de la présenter sous un angle, disons, réaliste. Fallait-il pour autant être "infantilisant", "moralisant", "condescendant", se sont-ils demandé, avant de s'interroger sur le vrai message porté par le ministre : ne s'agissait-il pas pour lui, en évoquant une région "où il pleut souvent" et ses "habitants-noisettes" ("durs à l'extérieur, tendres à l'intérieur, difficiles à ouvrir"...), d'inviter les candidats à l'exil à rester chez eux ? Sous prétexte d'intégration, ne s'agit-il pas principalement pour un élu de la NVA de contourner les règles du pouvoir fédéral belge, généralement décrites comme laxistes par la NVA ?

La polémique a rattrapé le ministre de l'intérieur - et de l'intégration - sur ses propres terres. Il a dû citer des études universitaires mettant en évidence la méconnaissance des "normes et règles flamandes" par certains immigrants, peu scolarisés et issus de régions rurales. Des gens auxquels il convenait, dit-il, de parler de manière simple. Il a établi la distinction entre immigrés intégrés et non intégrés, précisant que les premiers n'étaient pas concernés par son initiative. Il a enfin déploré "les mauvaises interprétations" et "les jugements trop rapides".

A Bruxelles et en Wallonie, certains se sont gaussés sans oser dire et écrire clairement qu'après la minorité francophone c'était, semble-t-il au tour des minorités immigrées d'être désignées comme des menaces par la NVA. Ces critiques n'ont pas davantage mentionné que, sous l'avalanche des clichés ridicules (on a oublié de citer "la Flandre connue dans le monde entier pour sa bonne bière, son chocolat et ses gaufres"), le document faisait aussi des mentions intéressantes du droit des femmes, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ou de la solidarité.

Mais passons, le cas est trop désespéré pour qu'on ait envie d'en sauver ne serait-ce qu'un lambeau. Il reste alors à s'interroger sur le double sens caché de l'opuscule. Le premier est que la Flandre de M. Bourgeois - qui n'est pas toute la Flandre - ressemble à s'y méprendre à ces pays d'Europe, de plus en plus nombreux, où la défense de l'identité consiste à dire à "l'autre" que, s'il n'ambitionne pas de ressembler à 100 % au portrait type de l'autochtone et à s'en tenir au triptyque "un peuple, une langue, une culture", il ne sera, en fait, jamais le bienvenu.

Le deuxième sens est révélé par Ico Maly, coordinateur de Kif Kif, une association multiculturelle flamande. Doctorant à l'université de Tilburg, aux Pays-Bas, il étudie la rhétorique de la NVA, et a expliqué à La Libre Belgique que ce parti, en théorie plus ouvert à la diversité que l'extrême droite raciste du Vlaams Belang, n'en serait, en réalité, pas très éloigné : "Ce n'était que de la propagande : la NVA est pour une politique d'assimilation, dans l'espoir de pouvoir construire une Flandre homogène. (...) La Flandre des Flamands millénaires, nation historique modelée à travers son histoire où les autres ne sont les bienvenus que s'ils se soumettent à cette idée."

22/05/2012, Jean-Pierre Stroobants

Source : Le Monde

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