mardi 26 novembre 2024 14:50

La grande manipulation du débat sur l’identité nationale

Les grands penseurs et philosophes français des Lumières (Montesquieu, Rousseau, Diderot, Voltaire...) doivent se retourner dans leurs tombes en voyant plus de deux siècles et demi après eux, ce grand pays – la France – en train de perdre son âme profonde et petit à petit son socle identitaire bâti autour de valeurs si chèrement acquises de liberté, d’égalité, de fraternité, de diversité, de tolérance, d’humanisme, etc.

Souveraine dans sa République si durement défendue contre les puissances étrangères, la France était par le passé restée saine, sauve et souveraine grâce à la volonté de son peuple composite.

La France, de par son passé colonial important et son statut de pays « riche », a toujours été une terre d’accueil idéale pour de nombreux migrants.

Depuis plus de 150 ans, la démographie et l’économie française ont été nourries par l’apport des immigrés. Certes pour chaque nouveau flux d’arrivants, l’intégration ne s’est pas faite sans difficultés (phénomènes de pauvreté, de rejet...). Pourtant, on constate que tous ceux qui sont restés ont été progressivement assimilés, et aujourd’hui, près de 10 % de la population française est immigrée et surtout près d’un tiers de la population française descend des immigrants du XXe siècle.

La diversité a toujours été la force de la France. Avec ses immigrés de l’intérieur (corses, bretons, catalans, basques, occitans, etc...) et tous ceux qui la peuplèrent au fil des années voire des siècles (italiens, polonais, arabo-hispaniques, nord-africains, ultra marins...), la France constituait un terreau fertile d’où pouvaient émerger à la fois l’excellence et l’universel, conséquence du « creuset » français (comme d’ailleurs l’exemple du « melting pot » réunionnais).

Aujourd’hui, la France est de plus en plus métissée, mais elle refuse de le voir, du moins certains politiciens tentent de convaincre « le peuple d’en bas » de garder les yeux fermés.

La France a oublié qu’elle fut terre de mélange et de création, réussissant à lier subtilement saveurs du terroir et parfums exotiques dans des domaines considérés aujourd’hui comme des arts à part entière (tels que la gastronomie...).

Depuis les années 80, la question de l’intégration des immigrés occupe la scène publique. Face à des enjeux tels que la lutte contre le racisme, la violence des banlieues, la réforme du Code de la nationalité, la réaffirmation de l’identité nationale et le multiculturalisme, le débat fait rage aujourd’hui et devient un enjeu électoral majeur avec la percée du Front National dans les sondages.

« La France est un vieux pays de vieux » disait Jacques Séguéla. Sa population vieillit, de même que sa lucidité !

Le monde avance et la France – écartelée entre sa grandeur passée et son présent globalisé et mondialisé – recule.

Depuis une quinzaine d’années au moins, l’attitude française envers la mondialisation se caractérise par une méfiance persistante, et par un pessimisme constant des Français quant à leur devenir, leur pays, l’avenir de leurs enfants. Déjà en septembre 1992, conscient de cette inquiétude qui commençait à mettre en péril la construction européenne, le président Mitterrand avait dû promettre, lors du débat sur Maastricht : « Une Europe forte vous protègera mieux ».

La mondialisation aux règles opaques défendue par les pays occidentaux a entraîné leurs propres déclins. De nouvelles puissances (Chine, Inde, Brésil...) émergent et frappent à la porte d’une prospérité si convoitée.

Les arabes du monde se battent pour la liberté et la justice. Un peu partout, les peuples sortent de leur léthargie. Les cartes sont bel et bien en train d’être redistribuées, avec on peut l’espérer de nouvelles règles.

Mais, en France, au lieu d’envisager l’avenir autrement que sur des critères de domination économique, on fait des promesses : un peu de croissance, une baisse significative du chômage mais à condition de se serrer la ceinture (sur des ventres déjà amaigris des uns à cause de la course aux profits des autres).

C’est pour ne pas voir ce déclin et ces lendemains qui déchantent, qu’on a aujourd’hui décidé d’entonner le couplet maintes fois remâché de l’identité nationale. Le chant rappelle les vieux sketches de Fernand Raynaud ou de Coluche sur les étrangers qui viennent « manger le pain des Français ».

Sur le plan psychologique, chacun a besoin de voir dans l’autre, son compatriote, une image de lui-même qui lui permette de suivre le fil de la continuité de sa propre identité. Pourtant, si l’on peut dire que la culture immigrée est vécue à la fois comme un enjeu et comme un instrument de lutte, il faut considérer que cet enjeu est lui même ambigu. Car l’immigré doit se battre pour se faire une petite place dans la société.

Les révoltes dans les pays arabes sont une merveilleuse occasion pour la France de jouer de ce formidable atout qu’est sa diversité démographique.

Au lieu de réfléchir à cet avenir, on se retourne et on ne propose qu’un débat sur la place de l’islam en France parce que, dans certaines villes, des associations ont osé, ici et là, réclamer des facilités pour pratiquer leur culte comme peuvent le faire d’autres communautés cultuelles : protestants adventistes, juifs orthodoxes, sikhs...

Quelle réprobation si on devait faire par exemple un débat sur le judaïsme ? Le président de la République flatte les origines chrétiennes de la France : mais à quelle fin ?

En fait, ce débat sur l’islam déguisé en débat sur la laïcité, c’est une manière de rassurer les petits retraités, de plus en plus nombreux, si apeurés par la baisse de leurs pensions et par l’insécurité que n’a pas su combattre le gouvernement malgré sept lois sur la sécurité.

On choisit de conforter « les petits vieux » en espérant qu’ils convaincront leurs enfants et petits-enfants que tout ça c’est la faute aux immigrés maghrébins et africains.

Le débat, qui va mobiliser toute l’énergie, évitera de parler des graves problèmes économiques et sociaux de la France.

Une partie de l’opinion manifestera son rejet, on criera « au loup fasciste », jusqu’à ce qu’un événement grave vienne retourner une opinion qui avait su résister à ces sirènes.

Personne n’osera les contredire sans se voir taxé de mauvais Français (« le mauvais français, le musulman » comme le dénonçait F. Cabrel dans sa chanson Saïd et Mohamed) ou accusé de complicité passive avec les délinquants et les fraudeurs.

Finalement, plus besoin du Front National – même si c’est lui qui dicte les débats de société – pour stigmatiser les étrangers, les basanés et les musulmans, l’UMP a atteint désormais la maturité pour le faire ! Les manipulations qui marchent sont souvent les plus grossières, elles sont surtout les mieux préparées.

« Le racisme est bien l’infirmité la plus répugnante parmi les diverses laideurs de l’humanité ». A méditer

11/3/2011

Source : Le quotidien de la Réunion

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