Au pays de l’égalité républicaine, la discrimination finit par se voir.
En tout cas, l’organisme France Stratégie, officiant auprès du premier ministre, l’a repérée dans son dernier travail intitulé « Jeunes issus de l’immigration : quels obstacles à leur insertion économique ? » « Une fois les effets de l’origine sociale des parents, du niveau de diplôme et du lieu de résidence neutralisés, le risque de chômage persiste pour les descendants d’immigrés », conclut l’étude. Le message est clair : à diplôme égal et même s’il habite en centre-ville, un enfant d’immigré connaît davantage de difficultés à trouver un emploi que ses camarades qui ont des parents nés en France.
L’étude a été réalisée en vue du comité interministériel sur la citoyenneté et l’égalité réuni le 6 mars à Matignon (France Stratégie avancera ses propositions la veille). Elle analyse plus finement cette discrimination et montre que « la probabilité pour les jeunes descendant d’immigrés africains d’avoir un emploi stable, cinq ans après la fin de leurs études, est un tiers plus faible que pour les natifs ou les enfants aux ascendants d’Europe du Sud ».
« La langue de l’école »
Cette discrimination à l’embauche ne s’explique pas seulement par du racisme, mais aussi par le fait que ces jeunes dont les parents ne sont pas nés en France sont moins souvent diplômés – ou titulaires de diplômes moins prisés – que les autres. L’étude rappelle ainsi qu’« être descendant d’immigré africain – hors Maghreb – réduit d’un quart la chance d’être salarié de la fonction publique d’Etat ». Or ces recrutements procèdent d’un concours anonyme (hors les oraux) ; la couleur de la peau ne joue donc aucun rôle dans la principale phase de sélection.
Ainsi, au cœur du sujet, il y a plutôt l’école française, qui n’offre pas les conditions optimales à des enfants dont la langue parlée à la maison n’est pas forcément le français. « Les inégalités se creusent dès la maternelle et compromettent l’accès aux filières les plus favorables à la poursuite d’études supérieures », précise l’étude, qui ne part pas de données nouvelles mais compile une importante masse de résultats sur le sujet.
Les jeunes issus de l’immigration sont donc d’emblée dans une situation plus compliquée que ceux qui manient la « langue de l’école » le jour, les soirées, les week-ends et les vacances. Le rapport ne le note pas, mais toutes les études sur l’entrée dans la lecture montrent que si un enfant ne possède pas un vocabulaire suffisant, il sera handicapé en termes de compréhension ; que s’il n’a pas fréquenté assez souvent les mots et la littérature jeunesse, joué avec les mots, il n’aura pas la conscience phonologique nécessaire pour comprendre le principe de la lecture qui ne va pas de soi.
Délicate remédiation
De plus, l’école française est ainsi faite qu’un retard durant le cycle des apprentissages fondamentaux est très difficile à rattraper, comme le montrent les études de Bruno Suchaut pour l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu). France Stratégie rappelle aussi la forte concentration dans certaines écoles des enfants d’immigrés, ce qui rend le travail de remédiation des enseignants quasi impossible.
Ces conditions initiales conduisent à une différence de niveau manifeste à 15 ans, c’est-à-dire à l’approche de la fin de la scolarité obligatoire. « D’après les tests PISA, rappelle France Stratégie, ces jeunes sont deux fois plus susceptibles de figurer parmi les élèves en difficulté. » A partir de là, les conséquences s’enchaînent mécaniquement au point que 40 % d’entre eux sortent sans diplôme ou avec un niveau inférieur au bac, alors qu’ils représentent un cinquième d’une classe d’âge.
2 mars 2015, Maryline Baumard
Source : le monde