jeudi 26 décembre 2024 23:17

La vérité sur la crise des politiques migratoires qui traverse aujourd’hui l’Union européenne

Aujourd’hui de nombreuses rumeurs et contre-vérités circulent sur les migrant-e-s. À l’occasion de la Journée internationale des migrant-e-s du 18 décembre, nous avons souhaité dénoncer cette tendance à la désinformation sur une question pourtant si grave.

Des dirigeant-e-s européens et certains médias contribuent à véhiculer des idées reçues sur la politique migratoire européenne et la situation des personnes migrantes qui arrivent ou vivent sur le territoire européen.

Nous souhaitons rétablir la vérité sur la crise des politiques migratoires qui traverse aujourd’hui l’Union européenne (UE).

1. L’Europe fait face à une crise migratoire. FAUX.

Il s’agit d’une crise des politiques d’accueil de l’Union européenne et de ses États membres.

Malgré l’augmentation des flux migratoires vers l’Europe depuis 2015, l’Europe reste confrontée à un bien moins grand nombre d’arrivées sur son territoire que de nombreux autres pays. Par exemple, sur les 4,8 millions de réfugiés Syriens décomptés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 2,7 millions se trouvent en Turquie, 1 million au Liban et 655 000 en Jordanie [1]. Entre avril 2011 et septembre 2016, moins de 860 000 Syriens ont pu déposer une demande d’asile dans l’ensemble des 28 pays de l’Union européenne (UE) (plus la Norvège et la Suisse) [2]. L’Europe accueille ainsi moins de 18 % de la totalité des réfugié-e-s syrien-ne-s.

Depuis plusieurs années, l’UE démontre pourtant son incapacité à organiser l’accueil des personnes migrantes, y compris celles qui fuient les guerres, les persécutions et la pauvreté, et à garantir à ces dernières l’accès, sur son territoire, à la protection internationale à laquelle elles ont droit. La réponse de l’UE et des États membres a été de verrouiller les frontières et d’empêcher par tous les moyens les personnes migrantes d’atteindre l’Europe. La FIDH plaide pour l’abandon de la politique migratoire sécuritaire européenne et une réforme en profondeur centrée sur le respect des droits humains des migrant-e-s. La FIDH dénonce les politiques qui empêchent les migrant-e-s d’accéder au territoire de l’UE et recommande un renforcement de la capacité d’accueil et la création de voies d’accès légales et sûres au territoire européen.

2. L’Europe accueille les demandeur-euse-s d’asile dignement. FAUX.

Ils-elles vivent dans la plus grande précarité.
En Grèce, la situation des migrant-e-s est désastreuse, notamment dans les centres de détention (hotspots) souvent surpeuplés sur les îles, où femmes, hommes et enfants manquent de nourriture, d’accès à des services de santé et d’information concernant la procédure d’asile. En France, le montant de l’allocation pour demandeur-euse-s d’asile pour une personne seule s’élève à 204 euros par mois si celle-ci est hébergée par l’État, et à 330 euros si elle est à la rue. Le nombre de places d’hébergement est largement inadapté aux besoins : environs 50 000 places disponibles pour 80 000 demandes enregistrées à l’OFPRA en 2015 [3]. Ces conditions ne permettent pas aux demandeur-euse-s d’asile de jouir d’un niveau de vie suffisant. À Vintimille (dernière ville italienne avant la frontière avec la France), les migrant-e-s que la police empêche de passer en France dorment sur la plage ou dans des parcs. Partout en Europe, leurs campements sont régulièrement détruits, ils/elles n’ont généralement pas le droit de travailler et doivent compter sur des initiatives citoyennes et associatives pour se nourrir. La FIDH exhorte les États membres de l’Union européenne à améliorer les conditions d’accueil des personnes migrant-e-s, notamment par le biais d’une meilleure répartition des responsabilités entre États européens.

3. La détention des migrant-e-s permet de contrôler l’immigration. FAUX.

La détention des migrant-e-s est inefficace et contraire au droit international.

Au cours des dernières années, les États européens ont augmenté de manière considérable le recours à la détention prolongée des personnes migrantes au motif de la nécessité de « maîtriser » leurs frontières ou pour des raisons de « sécurité nationale ». Depuis que l’Union européenne et la Turquie ont signé un accord prévoyant l’expulsion des personnes qui arrivent de Turquie, la Grèce procède à l’enfermement systématique des migrant-e-s venant de Turquie. En 2015, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme a dénoncé la politique de la République Tchèque consistant à soumettre couramment les migrant-e-s à une détention pouvant aller jusqu’à 90 jours, dans des conditions décrites comme dégradantes, alors qu’en vertu du droit international, la détention des migrant-e-s ne peut être utilisée qu’en dernier recours [4]. Certains États comme la Bulgarie enferment aussi les mineurs, même non-accompagnés [5]. Qu’elle soit pénale – et donc interdite par la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés – ou administrative, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme des migrants a souligné que « rien n’indique que la détention a un effet dissuasif sur l’immigration clandestine ni ne décourage les demandes d’asile » [6]. La FIDH plaide contre l’usage de la détention pénale et administrative au seul motif de la migration « irrégulière ». Elle exhorte les États membre à s’abstenir de détenir les demandeur-euse-s d’asile dans l’attente d’une décision sur leur demande.

4. La sécurisation des frontières empêche les migrations et protège la vie des migrant-e-s. FAUX

La sécurisation des frontières déplace les routes migratoires, alimente les réseaux des trafiquants et tue.

L’UE et ses États membres allouent un budget colossal à la protection de leurs frontières, comme le démontre l’augmentation constante du budget octroyé à l’agence Frontex – récemment rebaptisée "corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes" – chargée de la surveillance des frontières européennes : de 97,9 millions en 2014, le budget de l’agence est passé à 143,3 millions en 2015 puis à 254 millions en 2016 [7]. En 2015, l’Europe a lancé l’opération navale « Sophia » chargée notamment de la destruction des bateaux de passeurs entre la Libye et l’Europe [8]. Plusieurs États construisent aussi des murs, visibles ou invisibles pour se protéger contre la « menace migratoire » : des barbelés séparent désormais la Hongrie de la Serbie et de la Croatie, l’Espagne du Maroc, et la Grèce et la Bulgarie de la Turquie. Ces mesures ne permettent pas d’atteindre le but recherché : réduire les flux migratoires et décourager les personnes migrantes d’essayer d’atteindre l’Europe. Tant qu’il y aura des guerres, des persécutions et autres violations des droits humains, les peuples continueront à fuir leur pays et à venir en Europe en quête d’un avenir meilleur. Les politiques sécuritaires et de fermeture ont surtout pour effet de déplacer les routes migratoires en forçant les personnes migrantes à emprunter des voies de plus en plus dangereuses, et en alimentant les réseaux des trafiquants et passeurs. C’est ainsi qu’en 2016, faute de voie d’accès légal et sûr au territoire européen et en conséquence de la politique de fermeture pratiquée par l’Europe, 4 655 personnes sont mortes ou ont disparu en mer en essayant d’atteindre le territoire de l’UE. Malgré les moyens militaires déployés par l’UE et l’OTAN dans la Méditerranée et la mer Égée, censés contribuer au sauvetage des vies, ce chiffre est en augmentation puisqu’il était de 3 771 en 2015 [9]. La FIDH demande à l’UE et à ses États membres d’axer leurs politiques sur la protection et l’accueil des personnes migrant-e-s, et de renforcer leur capacité de recherche et sauvetage en mer, afin de limiter le nombre de victimes. La FIDH exhorte les instances européennes à abandonner leur approche et rhétorique sécuritaire et policière et dénonce les opérations militaires et de surveillance destinées à empêcher ou à restreindre la mobilité des personnes vers l’Europe. Tant que les États européens n’établiront pas de voies d’accès légales et sûres vers leurs territoires, les migrant-e-s continueront d’emprunter des routes dangereuses et les réseaux de passeurs continueront à prospérer.

5. L’Europe échange les migrant-e-s comme de la marchandise. VRAI.

Pour un-e migrant-e renvoyé-e de la Grèce vers la Turquie, un-e Syrien-ne est accueilli-e en Europe.

Un accord conclu entre l’Union européenne (UE) et la Turquie en mars 2016 prévoit un troc abject d’êtres humains : pour chaque migrant-e renvoyé de la Grèce vers la Turquie, l’UE accueillerait un-e Syrien-ne, venant de Turquie, sur son territoire. Entre avril et décembre 2016, 2 761 Syrien-ne-s ont été réinstallé-e-s en Europe depuis la Turquie [10]. Cet accord envisage les individus comme de la marchandise, que les États peuvent s’échanger sur la base de divers critères. Toujours plus loin dans l’infamie, en mai, l’UE s’est plainte des Syrien-ne-s qui lui étaient envoyé-e-s par la Turquie, malades ou doté-e-s d’un « niveau d’éducation très bas » [11]. La mise en œuvre de l’accord viole par ailleurs le droit d’asile. En effet, selon les termes de l’accord, seul-e-s les migrant-e-s ayant été déboutés de leur demande d’asile en Grèce ou n’ayant pas demandé l’asile peuvent être expulsé-e-s vers la Turquie. Or, après avoir exprimé son inquiétude quant aux défaillances du système d’asile grec et à l’absence de possibilité réelle pour les migrant-e-s de demander l’asile ou de voir leur demande traitée conformément aux standards internationaux, la FIDH a documenté des cas de migrant-e-s détenu-e-s sur l’île de Lesbos qui souhaitaient déposer une demande d’asile mais n’avaient pas été en mesure de le faire [12]. Selon des parlementaires européens qui ont visité des centres où étaient détenues des personnes expulsées vers la Turquie en vertu de l’accord, aucun-e des réfugié-e-s interviewé-e-s n’avait pu demander l’asile, ni en Grèce, ni en Turquie [13]. La FIDH condamne cet accord et les violations qu’il engendre et exhorte les États parties à le dénoncer dans les plus brefs délais.

6. L’Europe ne renvoie les migrant-e-s que dans des pays sûrs. FAUX.

Pour éloigner les migrant-e-s, l’Europe pactise avec les régimes les plus répressifs, qui bafouent les droits humains.

L’Union européenne et ses États membres sous-traitent sans vergogne leurs responsabilités en matière de gestion des migrations auprès de pays d’origine et de transit – en Afrique du Nord et Subsaharienne, Turquie, et plus récemment Afghanistan – où de graves violations des droits humains sont commises. L’objectif de ces accords est d’empêcher les candidat-e-s au départ d’atteindre la « forteresse Europe » et d’éloigner celles et ceux qui s’y trouvent déjà. En mars 2016, l’UE a conclu un accord avec la Turquie qui prévoit l’expulsion vers ce pays, selon des procédures accélérées qui ne permettent pas un examen individuel du bien-fondé de la demande comme exigé par le droit international, des personnes entrées « irrégulièrement » en Grèce. Si les droits des personnes migrantes étaient déjà bafoués en Turquie, la répression menée depuis l’été 2016 par le régime de M. Erdogan suite à une tentative de coup d’État et qui a plongé le pays dans une dérive autoritaire sans précédent, ne fait qu’accentuer l’insécurité et multiplier les risques de violations des droits humains dans le pays [14]. Malgré la situation sécuritaire déplorable de l’Afghanistan, en octobre 2016, l’UE a conclu un accord avec cet État visant à faciliter l’expulsion de migrant-e-s « irrégulier-e-s ». Alors que l’Italie a déjà conclu un accord avec le Soudan et procédé à de nombreuses expulsions vers ce pays, l’UE envisage maintenant elle aussi la possibilité d’un accord avec cet État [15], dont le président fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Compte tenu des défaillances des systèmes d’asile européens, le risque que des personnes en besoin de protection internationale soient expulsées vers ces régimes répressifs est réel. Ces accords sont par ailleurs généralement conclus dans le secret, sans aucun contrôle démocratique de la part du parlement européen ou des parlements nationaux. La notion de « pays sûr » est, d’ailleurs, elle même contraire au droit international [16]. La FIDH demande à l’UE et à ses États membres de veiller à ce que les accords conclus avec des États non-UE en matière de migration respectent les droits humains des personnes migrantes, et de dénoncer ou suspendre les accords déjà conclus jusqu’à ce que les pays avec lesquels ils ont été négociés offrent des garanties suffisantes de respect des droits des migrant-e-s. Elle demande que tout accord en la matière soit soumis au contrôle démocratique du Parlement européen et des parlements nationaux.

7. Tous les réfugié-e-s obtiennent l’asile en Europe. FAUX

Le système de Dublin empêche les réfugié-e-s d’obtenir une protection.

En plus des subterfuges mis en place par les États membres pour n’accorder l’asile qu’à un nombre limité de réfugié-e-s (quotas, listes de « pays sûrs »...), l’Europe applique aussi le système dit de Dublin selon lequel les demandeur-euse-s d’asile doivent déposer leur requête dans le premier pays par lequel ils-elles sont entré-e-s en Europe. Consciente de l’incapacité des pays frontaliers à accueillir dignement toutes les personnes qui arrivent sur leur territoire, et à traiter l’ensemble des demandes d’asiles dont ce système les rend responsables, en 2015, l’Union européenne (UE) a finalement adopté un programme de relocalisation des demandeur-euse-s d’asile depuis l’Italie et la Grèce vers d’autres pays d’Europe. L’adoption de ce plan, loin d’être ambitieux, démontre que l’UE reconnaît elle-même l’incohérence du système de Dublin. Cependant, ce plan est insuffisamment mis en œuvre (depuis septembre 2015, seulement 8 162 personnes ont été relocalisées depuis la Grèce et l’Italie [17] sur les 160 000 qui doivent bénéficier de cette mesure jusqu’en septembre 2017) et beaucoup d’États membres continuent de prononcer le renvoi des demandeur-euse-s vers les pays frontaliers. Compte tenu de ces renvois vers les États frontaliers et des dysfonctionnements des procédures d’asile dans ces pays, ces personnes sont dans l’incapacité d’obtenir une protection en Europe. La FIDH dénonce les violations engendrées par le système de Dublin, et, dans le cadre de la réforme de ce système, plaide pour une répartition équitable de l’accueil des migrant-e-s et du traitement des demandes d’asile au sein de l’UE, et pour la liberté de chaque personne de décider du pays dans lequel elle souhaite demander l’asile. (Pour consulter les notes, aller à la source)

15/12/2016

Source : fidh.org/fr

Google+ Google+