jeudi 28 novembre 2024 04:52

Le délicat retour aux origines des Franco-Marocains

Sur fond de crise, le Maroc apparaît comme un nouvel eldorado pour les Franco-Marocains, de deuxième et troisième génération. Mais pour ces enfants issus de l’immigration, le retour au pays d’origine n’est pas si facile.

De son bureau du 13e étage d’un quartier chic de Casablanca, la vue sur la capitale économique est imprenable. Jaoued Boussakouranv 28­ans, est à la tête d’un cabinet d’audit et d’expertise comptable d’une dizaine de personnes. Originaire du Vaucluse, ce jeune Franco-Marocain, diplômé de l’IAE et de Sciences-Po Aix, a choisi de venir s’installer au Maroc, il y a quatre ans, faisant le chemin inverse de ses parents. Eux sont arrivés en France il y a quarante ans pour trouver une vie meilleure. «­Je suis venu ici, pour des raisons purement pécuniaires. Quand j’ai terminé mes études, on m’a fait plusieurs offres, à Paris, Tunis, Dubaï…La proposition marocaine était la plus intéressante et on m’a donné des responsabilités», explique-t-il.

Recruté comme directeur administratif et financier, il démissionne deux ans plus tard pour monter sa propre société. «­Il y a ici encore énormément de choses à faire. On est plutôt épargné par la crise. On peut créer, apporter de l’innovation, assure le jeune entrepreneur. En France, on n’a pas cette impression.­»

Depuis quelques années, le Maroc voit affluer de plus en plus de Franco-Marocains, jeunes, hauts diplômés et assoiffés de réussite. Quand en Europe le marasme persiste sur fond de poussée xénophobe, ils sont séduits par le dynamisme économique de ce côté-ci de la Méditerranée.

Diplômée en relations internationales, Sihame Arbib, 29­ans, a créé un cabinet de conseil en stratégie de communication politique à Casablanca en 2008, après avoir travaillé dans la haute administration en France et aux Nations unies. Ce sont les circonstances professionnelles qui l’ont amenée ici et aussi l’envie de mieux connaître le pays de ses aînés. «­J’ai appris la darija (l’arabe dialectal) au Maroc (…). Je suis célibataire,sans enfant, je peux essayer quelques années», confie-t-elle.

Cette Franco-Marocaine de troisième génération, qui vit entre Paris et Casablanca, s’est présentée aux élections législatives de la 9e_circonscription des Français de l’étranger sous l’étiquette MoDem. Elle a recueilli 1,96_% au premier tour. Un engagement politique qu’elle ex explique en «réaction au climat délétère en France lié au débat sur l’identité nationale sous l’ère Sarkozy».

Nabil Bouhajra, 33_ans, travaille lui dans une société de production audiovisuelle. Il a quitté Paris il y a

dix mois pour s’installer au Maroc. «Il y a tout à faire ici. Et on a une certaine qualité de vie, le soleil… On a envie aussi de faire quelque chose pour le Maroc, que nos parents soient fiers», explique-t-il. Pourtant, s’intégrer au Maroc n’est pas si facile.

En quelques mois, Nabil a vite déchanté. «L’élite marocaine nous considère comme des fils de paysans émigrés. Il n’y a pas plus de reconnaissance ici qu’en France, où nous étions perçus comme des jeunes de banlieue. Nous avons été élevés dans une grande liberté de ton. Notre franc-parler choque», lâche-t-il.

«Cette nouvelle génération de 25-35_ans est là pour faire de l’argent. Parce qu’ils ont des compétences, un

fond culturel commun, la langue, ces jeunes pensent bien s’en sortir. Mais souvent ils se trompent. Ils méconnaissent le pays, la population. Dans le fond, ils sont plus franco-français que binationaux», observe Ahmed Ghayet, président de l’association Marocains Pluriels.

Le premier choc est professionnel : absence de rigueur, valeur du temps élastique, nécessité de réseaux familiaux…Puis viennent les références culturelles. «On pense que le Maroc est notre pays, qu’on le connaît parce qu’on est venu en vacances… En fait, comme les expatriés, on découvre le pays, les mentalités, les réflexes des Marocains qui, dans le fond, ne sont pas les nôtres», convient Jaoued Boussakouran.

Malgré sa réussite professionnelle, Jaoued reconnaît qu’il a encore des problèmes d’intégration: «_C’est un

sentiment assez complexe. On est à la fois ici et ailleurs: au Maroc, j’ai la tête en France et en France, la tête au Maroc.»

8/6/2012, CHRISTELLE MAROT

Source : La Croix

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