mardi 26 novembre 2024 14:27

Le printemps arabe n'a pas entraîné d'afflux migratoire en Europe

"Il faut arrêter d'agiter des peurs. Il n'y a pas eu d'afflux massif d'immigrés depuis le printemps arabe." Ancien porte-parole de l'UMP, devenu président de l'office français de l'immigration et de l'intégration, Dominique Paillé est catégorique : le spectre d'un afflux de migrants venus de Tunisie, de Libye, d'Egypte ou d'ailleurs est un fantasme. "Mis à part le cas particulier de quelques arrivées à Lampedusa en Italie, qui est à part, tout cela relève de la pure fiction", insiste-t-il.

C'est sur cette île italienne, devenue le symbole de l'immigration en Europe avec ces images de navires chargés de migrants, que s'est rendue, lundi 14 mars, Marine Le Pen, qui compte bien profiter des peurs générées par les révolutions arabes. Et qui n'est pas la seule : Nicolas Sarkozy le premier avait, lors de son allocution à l'issue du remaniement du 27 février, mis en garde contre "les conséquences de telles tragédies sur les flux migratoires. C'est la France qui serait en première ligne", estimait le chef de l'Etat.

Une perspective balayée par Claire Rodier, juriste spécialiste des questions d'immigration au sein du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés) et cofondatrice du réseau d'études des question d'immigration euro-africain Migreurop. Elle rappelle que "dans l'histoire récente, les 'grandes invasions' annoncées, par exemple en provenance d'Europe de l'Est après la chute du mur de Berlin, n'ont jamais eu lieu". Selon elle, au contraire, "l'histoire de mouvements de démocratisation est aussi une histoire où des gens reviennent dans leur pays".

Dominique Paillé est plus nuancé. "Les moments d'incertitude politique ou institutionnelle créent toujours un 'appel d'air' migratoire. Mais si l'Europe est présente aux côtés des nouveaux régimes, on pourra dissuader l'immigration. La démocratisation du Maghreb est une bonne nouvelle".

Sandrine Mazetier, députée PS de Paris et secrétaire nationale aux questions d'immigration, est du même avis : "il y a eu une petite arrivée d'immigrés, liée à un désordre ponctuel en Tunisie, mais pas d'afflux massif. L'UMP et le président mélangent volontairement l'immigration à Lampedusa et les populations massées à la frontière libyenne, qui cherchent le plus souvent à rentrer chez elles."

Brandies par Marine Le Pen comme un exemple du péril imminent, les populations qui se pressent à la frontière libyenne ne sont en effet pas en attente de venir en Europe. "Il y a plusieurs catégories", relève Claire Rodier. "Des gens, notamment des Egyptiens, qui travaillaient en Libye et qui veulent rentrer chez eux ; mais aussi des gens qui viennent d'Afrique subsaharienne et qui étaient déjà des réfugiés politiques en Libye, qui ne peuvent pas rentrer chez eux car il y a un danger."

LAMPEDUSA, UN ACCORD AVEC KADHAFI

Le cas de Lampedusa est également issu d'un amalgame. Certes, l'île a vu arriver, selon les autorités locales, environ 10 000 migrants depuis le début de l'année 2011, soit le triple de l'année précédente. Mais ce chiffre est à relativiser : l'Italie, puis l'UE, ont négocié avec la Libye, qui a signé fin 2008 un accord pour empêcher l'immigration vers l'Europe de population le plus souvent issues de l'Afrique subsaharienne.

Selon les chiffres du ministère de l'intérieur italien, cet accord avait fait fortement baisser les arrivées à Lampedusa : de 37 000 en 2008, on n'en comptait plus que 3 000 deux ans plus tard en 2010, au point que le centre d'accueil installé sur l'île avait fermé ses portes.

Cet accord pourrait désormais se retourner contre l'Europe. "Il faut être vigilant, s'il n'est pas renversé, Kadhafi pourrait utiliser l'arme migratoire en guise de réciproque", estime Dominique Paillé. "En 2006, Kadhafi avait menacé d'envoyer deux millions de migrants, relativise Claire Rodier. Ils ne sont jamais arrivés. En Europe on a tendance à voir les flux migratoires comme des entités théoriques, en oubliant qu'il s'agit d'individus."

Et la juriste de rappeler que, selon le Haut Commissariat des Nations unis pour les réfugiés, 80 % des réfugiés politiques au monde sont pris en charge par des pays en développement et seulement 20% par les pays de l'OCDE. De même, selon la Banque mondiale, 69 % des migrations subsahariennes sont des migrations Sud-Sud.

Pour Sandrine Mazetier, l'accord avec Kadhafi "montre à quel point l'Europe était dans un contresens historique, en bafouant ses propres principes au nom de la lutte contre l'immigration, sans jamais se dire que l'existence de ces régimes autoritaires au Maghreb était l'une des causes de l'immigration".

L'IMMIGRATION "GLOBALEMENT STABLE" DEPUIS VINGT ANS

Pour le reste, l'image d'une vague imminente d'immigration venue des pays du Maghreb qui ont subi une révolution ne s'appuie sur rien, ou presque. Sur le long terme, s'il est vrai que l'Europe est la première destination d'immigration au monde, les flux apparaissent relativement stables depuis une vingtaine d'années.

De fait, selon la fondation Robert Schuman, en 2010 les immigrés représentaient 8,6 % de la population européenne, soit moins qu'aux Etats-Unis (12,9 %).Et des voix de plus en plus nombreuses estiment qu'avec le vieillissement de la population, l'Europe devra, à l'instar des Etats-Unis, faire appel à l'immigration pour maintenir sa force de travail à l'avenir.

La France comptait en 2010 6,5% d'immigrés, soit moins que l'Allemagne (10 %). "L'immigration a changé en vingt ans, ajoute Sandrine Mazetier. Elle s'est rajeunie, elle est plus mixte, plus diplômée. Mais ce phénomène est occulté, on préfère continuer à la caricaturer en 'toute la misère du monde' qui débarquerait chez nous."

14/3/2011, Samuel Laurent

Source : Le Monde

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