jeudi 28 novembre 2024 17:44

Le Sinaï, voie sans issue pour les migrants africains

Une vingtaine de migrants érythréens sont bloqués depuis près d’une semaine à la frontière entre l’Égypte et Israël. L’État hébreu leur interdit formellement l'accès à son territoire. "Ce groupe ne doit pas entrer", a ainsi affirmé le 5 septembre le ministre de l'Intérieur, Eli Yishai. "Nous agissons dans le respect de la loi. Ils sont venus là en sachant très bien qu'ils ne pourraient pas passer", a-t-il ajouté. Des soldats ont même repoussé des activistes israéliens qui tentaient de se rendre sur place pour apporter des vivres aux migrants. Selon le quotidien israélien "Haaretz", les gardes-frontières israéliens ont été autorisés à leur lancer des bouteilles d’eau "mais en quantité limitée uniquement".
Ces dernières années, environ 60 000 immigrés d’origine africaine sont entrés en Israël en traversant le Sinaï. Leur présence a déclenché une polémique politique sur le bien fondé de leur accueil, ainsi que des actes xénophobes. Israël a donc décidé de stopper l’afflux de ces migrants et érige actuellement une clôture de 250 kilomètres le long de la frontière égyptienne pour tenter d'empêcher les infiltrations via le Sinaï égyptien. Quelque 170 kilomètres sont déjà construits et l'ouvrage devrait être achevé d'ici la fin de l'année.
Mais le sort de ces migrants suscite l’inquiétude de l'ONU et de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme. Dans une interview publiée le 6 septembre par "Haaretz", un responsable de l’ONU appelle l’État hébreu à autoriser ces migrants coincés entre deux clôtures à pénétrer sur son territoire. "Israël doit assumer ses responsabilités [...] et ne peut pas simplement fermer la porte", s'est ainsi emporté William Tall, envoyé en Israël du Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).
Actes de torture et viols
Car, selon Heba Morayef, directrice du bureau de Human Rights Watch au Caire, "la majorité de ces migrants fuient des violences ou la guerre et sont des réfugiés qui cherchent à demander l’asile politique". Jointe au téléphone par FRANCE 24, elle explique qu’en les empêchant de franchir sa frontière ou même en les renvoyant dans leur pays, "Israël commet une violation du droit des réfugiés. On ne leur laisse pas la possibilité de déposer une demande d’asile ou de rencontrer le HCR".
"Il serait très irresponsable de les repousser vers l'Égypte, où ils pourraient tomber aux mains de trafiquants", a par ailleurs ajouté William Tall en évoquant des cas établis de viols et de torture.
Depuis le durcissement de la politique migratoire de l’Union européenne en 2006, des millers de ressortissants du Soudan, d’Éthiopie et d’Érythrée traversent le Sinaï pour rejoindre Israël. Mais avant même d’atteindre la frontière, nombre d’entre eux tombent aux mains de trafiquants dans le Sinaï. Selon plusieurs ONG de défense des droits de l’Homme, c’est un véritable trafic d’êtres humains qui a lieu dans la région. Human Rights Watch alerte régulièrement la communauté internationale à ce sujet. Le 5 septembre, l’organisation a publié un communiqué de presse où l’on peut lire une description détaillée des exactions subies.
Heba Morayef explique que "des groupes de criminels organisés et armés détiennent des migrants le plus souvent originaire du Soudan ou d’Érythrée dans le but d’extorquer de l’argent à leur famille, et se livrent à des actes de torture et de viols".
Zone de non-droit
Selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, ou encore par l’organisation humanitaire Habeshia, les migrants sont détenus enchaînés les uns aux autres. Leurs ravisseurs les forcent à appeler par téléphone leur famille pour réclamer une rançon exorbitante de l’ordre de 20 000 à 30 000 dollars.
Les auteurs de ces actes sont majoritairement des Bédouins, mais Heba Morayef insiste sur le fait que "tous les Bédouins ne sont pas impliqués dans ces trafics, certaines tribus même s’y opposent et tentent d’intercéder en faveur des détenus pour arrêter les abus".
La situation n’est pas nouvelle. Elle a commencé en 2007 mais "c'est surtout depuis 2009 que les témoignages d’exactions ont commencé à vraiment se multiplier", explique Heba Morayef. "Du temps de Moubarak, rien n’était fait", déplore-t-elle. La région du Sinaï frontalière avec l’État hébreu échappe en grande partie au pouvoir central du Caire, ce qui avec le temps en a fait une zone de non-droit où l’insécurité grandit. Nombre de trafics en tout genre ont cours dans la région investie par divers groupes armés aux intérêts divergents.
L'attitude du Caire montrée du doigt

Mais la donne a changé en Égypte qui vit désormais sous l'ère post-révolution et a vu l'avènement des Frères musulmans au pouvoir. "Nous savons que la question des migrants africains persécutés au Sinaï n’est pas une priorité pour le nouveau gouvernement égyptien, confie Heba Morayef. Nous voulons néanmoins attirer son attention sur son importance."
Car l’attitude du Caire fait partie du problème. "Le Sinaï est une terre égyptienne, c’est aux autorités égyptiennes de protéger les victimes de violences et d’en punir les auteurs", s’indigne Heba Morayef.
Human Rights Watch appelle ainsi clairement le président égyptien Mohammed Morsi à prendre ses distances avec les positions de Moubarak. L'ONG espère bien profiter du renforcement sécuritaire que Le Caire opère dans la région pour inciter le gouvernement égyptien à se saisir de ce problème.
6/9/2012, Amara MAKHOUL-YATIM
Source : France 24

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