mercredi 27 novembre 2024 18:29

Le vrai bilan économique de l'immigration

Le débat sur la place des étrangers en France fait à nouveau rage, dominé par les imprécations. Pour l’arbitrer, sans a priori, voici des chiffres exclusifs sur l’utilité économique de l’immigration.

Un «déni de réalité». Après les émeutes de 2005 (quatre morts, près de 10 000 voitures incendiées, au moins 200 millions d’euros de dégâts dans plus de 500 communes), le sociologue Sebastian Roché s’insurgeait du silence ayant suivi la tempête : aucun débriefing interministériel, aucune commission parlementaire, aucun bilan. Comme si, écrivait-il, «la fracture des banlieues, la discrimination, la révolte où prévalent les jeunes des minorités» étaient «si énormes que le courage de les regarder en face fait défaut».

Sitôt élu, Nicolas Sarkozy a rompu ce silence. Mais ses mesures pour la galerie (identité nationale, voile intégral, Roms, déchéance de la nationalité) ont surtout provoqué des débats outrés. Pendant ce temps, à Sarcelles (Val-d’Oise), le quartier du Grand-Ensemble, comme des centaines d’autres, s’enfonce dans le chômage et la pauvreté. Or c’est de ces questions économiques qu’il faut s’occuper. C’est là, et non pas sous les burqas, que loge l’origine des difficultés.

«Que les immigrés soient à leur arrivée une population à bas revenus, occupant des emplois peu qualifiés et un habitat modeste, ce n’est pas nouveau, rappelle Jean-Pierre Garson, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE. Dans le passé, pour les Polonais, les Italiens et les autres, cela n’a pas été une partie de plaisir non plus. Mais, à l’époque, la France les absorbait dans l’industrie et le secteur public, leur garantissant une forte mobilité professionnelle et résidentielle.»

Aujourd’hui, le recul de cette mobilité forme des ghettos. «Et notre modèle républicain ne sait pas les gérer, car il s’interdit toute distinction selon les origines, poursuit Jean-Pierre Garson. Je suis évidemment hostile à toute forme de fichage, mais il est urgent d’affiner le diagnostic pour mieux cibler les politiques publiques.»

C’est pourquoi Capital s’est lancé dans ce bilan économique. Banale dans les pays anglo-saxons, la moindre évaluation «ethnique» est chez nous soupçonnée d’intentions malignes à l’encontre des quelque 5,3 millions de résidents nés étrangers à l’étranger (dont plus de 2 millions sont aujourd’hui français) ou de la deuxième génération (6,5 millions de personnes ayant au moins un parent immigré).

Retracer leurs parcours, comme la démographe Michèle Tribalat a été l’une des premières à le faire, est pourtant le meilleur moyen de ne pas réduire l’immigration à ses ratés ou à ses clandestins : une nouvelle génération de patrons, banquiers ou médecins, des cohortes de cadres sup, d’employés et d’artistes soutiennent l’économie par leur soif de consommation et leur appétit d’entreprendre, attesté par les sociétés de capital-risque qui opèrent en banlieue.

Reste qu’on n’insulte personne en identifiant aussi les domaines où ça coince, pour mesurer les efforts à accomplir. Prévenons d’emblée : l’approche économique procure moins de frissons qu’une envolée sur l’islam, une pétition contre le fascisme ou un reportage sur la polygamie. Mais elle ressemble furieusement, elle, à la réalité. Car, dans cette affaire, tout le monde pense coûts et bénéfices.

A commencer par les candidats au permis de séjour : «Migrer est un calcul économique, note la députée Sandrine Mazetier, secrétaire nationale du PS à l’immigration. Le prix du départ est élevé, mais justifié par la perspective d’un emploi en France.» Même s’il faut pour cela se montrer peu regardant, comme le montre le poids des immigrés dans les métiers «DDD» (dégueulasses, difficiles et dangereux) : les jobs non qualifiés du BTP, de la restauration ou du nettoyage industriel sont parmi les plus «immigro-dépendants» – comprenez que, si ces employeurs recrutaient plus de «Français d’origine», le surcoût se répercuterait sur le consommateur final…

Nous ne sommes pourtant plus à l’époque des Trente Glorieuses, où les immigrés ont construit 90% des autoroutes et un logement sur deux, selon l’historien Gérard Noiriel dans «Le Creuset français». Désormais, sur une moyenne de 170 000 entrées légales par an, une moitié relève du regroupement familial et moins de 10% du travail. Mais, selon les données assemblées par l’économiste Joël Oudinet, le changement n’est pas si radical : trois fois sur quatre, le motif familial concerne un conjoint adulte, qui finit par se présenter sur le marché du travail.

Nous voilà loin de «l’immigré qui fait venir sa famille nombreuse pour les allocs». Ce que confirme le bilan du poids de l’immigration sur les finances publiques réalisé par des économistes de l’université de Lille (lire ci-dessus). Leurs calculs, confiés en exclusivité à Capital, montrent que le montant des contributions est supérieur à celui des transferts. En particulier, par sa structure d’âge, cette population pèse peu sur les retraites.

Selon le Haut Conseil à l’intégration, qui a compilé des données sur les seuls étrangers, 500 000 touchent leur retraite en France, dont la moitié reçoit une pension moyenne de 610 euros par mois, tant les carrières pleines sont rares. Le Conseil d’orientation des retraites a même calculé qu’une hausse des entrées de 50 000 par an réduirait le déficit des régimes de retraite d’un demi-point de PIB d’ici 2050. Pas négligeable !

Si la jeunesse des immigrés fait du bien à la France, les statistiques montrent parcontre que leur taux de chômage est environ deux fois supérieur à celui du reste de la population. Et, selon l’OCDE, l’écart se maintient pour la «deuxième génération». Le recul de l’emploi industriel et le gel des recrutements de la fonction publique (sauf dans les collectivités locales, où ils affluent) ont grippé la machine. D’autres secteurs ont pris la relève (distribution, commerce, services à la personne), mais cette tertiarisation est synonyme de précarité (fort recours aux CDD et au temps partiel) et accroît la proportion d’immigrés dans les grandes zones urbaines, où ce type d’emploi domine.

C’est clair dans l’étude «Trajectoires et origines» publiée par l’Insee et l’Ined au début de l’année : 32% des personnes de 18 à 50 ans ayant au moins un parent immigré se trouvent en Ile-de-France, avec une forte disparité entre les enfants d’Espagnols et d’Italiens issus d’une immigration ancienne (qui représentent la plus grosse part des quadras et ne sont que 16% à vivre en région parisienne) et ceux des immigrés d’Afrique subsaharienne, installés deux fois sur trois dans la région capitale et dont 60% ont moins de 26 ans.

Cette cartographie le montre, l’intégration mérite une approche bien plus fine que celle des statistiques nationales. Prenez la délinquance : à l’échelle du pays, on ne connaît que celle des étrangers (et non celle des naturalisés ou de la deuxième génération). Elle est supérieure à leur poids démographique (11,9% des mises en cause pour 5,8% de la population), ce que la part des hommes et des faibles revenus dans cette population suffit à expliquer.

Bref, ce chiffre global ne reflète en rien ce que constatent tous les jours policiers, juges, éducateurs, élus et habitants des zones urbaines sensibles, ainsi que plusieurs sociologues peu suspects de xénophobie. Selon Sebastian Roché, dont le rapport au Premier ministre sur «Les violences urbaines de l’automne 2005» visait à expliquer pourquoi les voitures avaient brûlé dans une ville plutôt que dans une autre, «le niveau de pauvreté dans l’ensemble d’une commune n’est pas un indicateur suffisant du risque de violences urbaines» : c’est à hauteur de quartier qu’il faut étudier le chômage, la taille des familles, les revenus ou la densité par logement.

Malheureusement, depuis trente ans, on observe à la longue vue depuis le sommet de l’Etat, d’où l’échec de politiques trop uniformes dans l’enseignement, la rénovation urbaine ou le développement économique. Un gâchis, alors que les initiatives ciblées, souvent lancées par le secteur associatif ou les entreprises, font leurs preuves. «Face à la ghettoïsation, il faut aider en priorité les villes pauvres, plaide le maire de Sarcelles, François Pupponi, partisan d’un transfert de moyens depuis les communes aisées. A Paris, le Vélib’ coûterait un peu plus cher, mais, chez nous, on financerait les cantines.»

Même plaidoyer de Jean-Pierre Garson à l’OCDE, qui veut aussi placer les immigrés devant leurs responsabilités : «Améliorer les conditions de logement exige une politique précise, explique-t-il. Abattre les barres d’immeubles ne suffit pas, il faut choisir les bonnes, et aussi casser le ghetto dans la tête des immigrés, car, souvent, pour envoyer le plus d’argent possible au pays, ils compressent leur budget logement avec des effets terribles sur l’échec scolaire.»

La disette budgétaire ne favorise pas ce combat cage d’escalier par cage d’escalier. En 2008, le «plan Marshall pour les banlieues» de Fadela Amara n’avait «pas abouti», selon l’expression d’Henri Guaino, conseiller du président. Mais peut-être Mme Bettencourt, M. Pinault et autres mécènes des beaux-arts pourraient-ils voler au secours des quartiers défavorisés ? Aux Etats-Unis, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, vient de donner un coup de pouce aux écoles de Newark, la ville la plus pauvre du New Jersey, à 54% noire : un chèque de 100 millions de dollars.

Frédéric Béghin

25/4/2012

Source : Capital.fr

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