lundi 25 novembre 2024 00:47

Les artistes étrangers indésirables au Royaume-Uni

Que ce soit par la vertu des Lettres anglaises d'un Voltaire ébloui, par le rayonnement d'une monarchie parlementaire pionnière dans une Europe absolutiste, ou grâce aux charmes conjugués de la mini-jupe et des maxi-cheveux, longtemps la Grande-Bretagne fut si bien associée à l'idée de liberté que c'en était devenu un cliché, et même Mme Thatcher fut impuissante à totalement l'effacer. Mais ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine de la nouvelle législation de l'émigration va probablement changer le regard affectueux que l'étranger portait obstinément sur le Royaume-Uni.

Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami devait venir présenter à l'English National Opera sa mise en scène de Cosi fan Tutte, qui était cet été au programme du Festival d'Aix-en-Provence. Il n'a pu travailler que par courriel, ce qui limite quelque peu l'élan créatif : « Je voyage dans le monde entier depuis vingt ans, et je suis habitué à la bureaucratie, mais là, c'est inédit. Il y avait beaucoup plus d'exigences. Il m'a fallu donner mes empreintes digitales deux fois dans la semaine. On m'a demandé d'ouvrir un compte et d'y déposer de quoi payer mon voyage de retour. J'ai fourni toutes les lettres d'accréditation qui m'ont été demandées. Mon dossier était complet. Et à ce moment-là on m'a dit que non, finalement, on ne me donnerait pas de visa. Ils se sont montrés très grossiers. Ils m'ont dit "Nous, nous vous connaissons, mais là-bas personne ne vous connaît. Nous ne ferons pas d'exception pour vous"

La chanteuse canadienne Allison Crowe n'a pas pu quitter l'aéroport de Gatwick, pour l'excellente raison qu'elle n'a pas pu montrer de certificat d'employeur. Il lui sera de surcroît difficile désormais, précisément parce qu'elle a été expulsée, de se produire en concert dans le pays. Le pianiste russe Grigori Sokolov, qui depuis dix-huit ans donne régulièrement des récitals en Grande-Bretagne, et qui aurait dû y revenir en donner deux nouveaux, a refusé de devoir perdre du temps pour aller de Vérone, où il réside, à Rome où on devait lui prendre ses empreintes : il a annulé ses concerts. Le cinéaste chilien résidant en France Raul Ruiz est invité depuis quelques années à animer un séminaire à l'Université d'Aberdeen. La police est venue frapper à sa porte et le prier de prendre l'avion le plus rapidement possible. La compagnie Ballet russe, implantée à Swansea, qui est en activité depuis plus de dix ans, risque de fermer, faute d'obtenir des visas pour ses danseurs. Etc...

Pour avoir le droit désormais d'être un « travailleur temporaire » en Grande-Bretagne, si on n'est pas citoyen de l'Union européenne (et encore... Polonais et Bulgares, notamment, n'en sont pas automatiquement dispensés), il faut avoir un engagement, l'organisme à l'initiative de la venue du migrant temporaire devant payer de son côté mille livres par personne invitée. L'étranger doit également disposer de huit cent livres d'économies, et il faut que l'employeur s'engage à le contrôler pour s'assurer qu'il n'aille pas se fondre dans le paysage. Enfin, le postulant doit être « éligible », selon un barème à points, qui reste extrêmement mystérieux. Si tout va bien, on aura peut-être un visa : mais la simple demande de visa peut être compliquée et coûteuse, quand on vit en Afrique, par exemple. Les douze membres du groupe Les Amazones de Guinée, qui avaient un concert prévu à Londres, ont dû faire le voyage de la Guinée, où il n'y a pas d'administration britannique, jusqu'à Freetown, en Sierra Leone. L'ensemble leur a pris quatre jours et trois mille cinq cent livres. Les visas ont été refusés. Le barème s'était sans doute montré hostile... En France, c'est une entreprise privée, WorldBridge, qui est mandatée par l'ambassade pour les délivrer. Décidément, les Lumières n'éclairent guère l'Eurotunnel...

Source : Le Monde diplomatique

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