mardi 26 novembre 2024 04:39

Les migrants pris entre deux rives

Si l’accord signé en mars entre l’UE et la Turquie a fait diminuer les arrivées en Grèce, les candidats à l’exil européen depuis la Libye sont toujours plus nombreux.

Les migrants pris entre deux rives

Le grand cimetière dont parlait le pape à Lesbos, la semaine dernière, s’agrandit chaque jour davantage. Un an après le pire naufrage en Méditerranée, où 800 migrants étaient morts noyés au large des côtes libyennes, près de 500 personnes y auraient encore péri il y a quelques jours, selon le Haut Commissariat aux réfugiés. Ce sont des Somaliens, Soudanais et Ethiopiens, secourus avant d’être débarqués en Grèce, qui racontent ce scénario trop lu, trop vu. Ils avaient pris la mer près de Tobrouk, en Libye, à bord d’un rafiot délabré. Des passeurs les ont poussés, en pleine mer, à monter sur un autre bateau, qui a chaviré sous l’effet de la surcharge et de la panique.

Depuis le début de l’année, 761 morts ou disparus avaient été comptabilisés jusque-là par le HCR. 5 350 avaient été engloutis par la mer l’an passé. Dans ce décompte, les candidats à l’exil européen, qui fuient les guerres, les dictatures ou l’absence d’avenir, ne sont perçus que comme des numéros. C’est selon ce principe terrible que l’UE a conclu, il y a un mois, un accord avec la Turquie. Un deal honteux qui scelle le renvoi systématique de tous les réfugiés arrivés sur les îles grecques. Demandeurs d’asiles inclus.

Saturées. Car comme le rappelle l’Organisation internationale pour les migrations, les hommes, femmes et enfants qui étaient, en dépit des périls, parvenus à gagner la Grèce avant de rêver en partir au plus vite vers l’Europe du Nord, fuient la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan ou l’Iran. Qu’importe pour l’UE. Qu’importe aussi si les autorités grecques sont saturées, sacrifiées. L’UE joue la carte du «un pour un». Pour chaque Syrien renvoyé vers la Turquie, un autre Syrien doit être réinstallé depuis la Turquie dans l’UE. Dans la limite de 72 000 places. Dérisoire, comme l’est la portion infinitésimale des 160 000 réfugiés qu’elle avait promis, en septembre, d’accueillir.

«Dans leur précipitation à mettre en œuvre l’accord d’expulsion conclu avec la Turquie, l’Union européenne et la Grèce ont fait fi des droits humains, notamment de ceux qui voulaient demander l’asile, a déclaré mercredi Fred Abrahams, de l’ONG Human Rights Watch. Les expulsions abusives mettent au jour les graves failles des expulsions collectives accélérées de migrants vers un pays qui ne saurait être considéré comme sûr.» Et qui rechigne à ouvrir les portes de ses centres d’accueil aux humanitaires comme aux journalistes (lire page 4). La Turquie doit faire «plus d’efforts» dans son accueil, a admis la Commission européenne mercredi.

Verrou. Reste que le verrou grec dissuade de nouvelles arrivées. Ainsi, seuls 553 migrants sont arrivés en Grèce entre le 11 et le 17 avril, une baisse de 18 % par rapport à la semaine précédente. Quand, dans le même temps, 4 651 réfugiés ont pu rejoindre l’Italie, une hausse de 665 % par rapport à la semaine précédente… Il est illusoire et hypocrite de penser que la fermeture de routes migratoires tarira le flot de réfugiés, rappellent les spécialistes des migrations (lire page 5). Le calvaire, les souffrances se déplacent ailleurs, comme le montre notre reportage en Libye. Où les morgues sont pleines de corps de «clandestins». Sans que cela ne fasse baisser le nombre de candidats à l’exode.

21 avril 2016, Christian Losson et Luc Mathieu

Source : Libération

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