mercredi 27 novembre 2024 11:24

Les mineurs étrangers isolés toujours condamnés à l’errance

Ils sont posés là, hagards, sous la grande verrière du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). La mine juvénile, tristoune, de ceux qui ne comprennent pas bien pourquoi. Népalais, Indiens, Pakistanais, Maliens, l’administration française les appellent «mineurs étrangers isolés» (MEI). Agés de 15 à 17 ans, certains ont voyagé plusieurs mois entre ciel et terre, dormi dans des conteneurs, et passé un nombre ahurissant de frontières pour arriver dans «un pays ami», où faire des études «est à la portée de tous», affirme l’un d’entre eux.

«Système D». Faute de moyens d’accueil, ils vivent, entre les salles d’audience, de la générosité du personnel administratif de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et des greffières du tribunal pour enfants. Sur leurs deniers propres, et parce qu’ils sont presque tous «des papas et des mamans», ils achètent «aux petits» de quoi boire, manger, et se couvrir. Car, le soir venu, lorsque le tribunal baisse le rideau, les mineurs étrangers regagnent la rue. Ils dorment dans des parcs, tentent d’attraper au vol des maraudes, ou poussent la porte des mosquées, des églises, ou des temples sikhs. Deux ont eu la chance d’être recueillis bénévolement par un conseiller municipal de Montreuil…

Réunie vendredi après-midi, l’intersyndicale SNPES-PJJ-FSU, CFDT et CGT a voulu «pousser un coup de gueule monumental pour que la France se montre un peu digne et honnête. Ce système D immonde doit cesser ! Il n’est donc pas possible de trouver des fonds pour payer des nuits d’hôtel à ces mômes ? La vérité, c’est qu’ils sont instrumentalisés à des fins politiques, et c’est dégueulasse», s’emporte le délégué SNPES Thomas Danglot. Effectivement, depuis plusieurs années, un bras de fer oppose le conseil général PS de Seine-Saint-Denis à l’Etat au sujet de la prise en charge de ces mineurs isolés. Ils sont environ 6 000 en France, mais se concentrent dans six départements : Paris, Nord, Pas-de-Calais, Mayotte, Guyane, et donc la Seine-Saint-Denis. Ce qui met sous tension les dispositifs d’accueil dans ces territoires, d’autant que le nombre de mineurs sans papiers croît avec les désordres planétaires : famines, persécutions, pauvreté, guerres… Ils arrivent par l’aéroport de Roissy, mais surtout par voie terrestre, la Seine-Saint-Denis étant limitrophe de Paris, «Ville lumière», vers laquelle beaucoup convergent. Leur accueil se fait en vertu de la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par le gouvernement français. Elle dit, en substance, que tout mineur a droit à protection et assistance là où il se trouve. Oui mais, voilà. L’Etat français a signé, mais il se défausse sur quelques collectivités territoriales…

En 2010, la Seine-Saint-Denis a dépensé 35 millions d’euros pour accueillir 943 jeunes (contre 14 millions en 2007). Une somme considérable pour ce territoire, en butte à des difficultés budgétaires et habité par une population pauvre : c’est le département qui a le plus gros pourcentage de logements sociaux. Ces dernières années, Claude Bartolone, président du conseil général, a écrit à tous les ministres concernés par le dossier : Affaires sociales, Intérieur, Affaires étrangères, Justice, ainsi qu’à François Fillon. Pour leur expliquer que la Seine-Saint-Denis ne pouvait pas assumer seule «au nom de la France». Pas de réponse.

En juillet, le rapport de forces s’est sacrément durci. Dans un entretien à Libération, Bartolone annonçait qu’il ne prendrait plus en charge «un seul mineur isolé étranger de plus à compter du 1er septembre» si l’Etat ne manifestait pas, enfin, sa solidarité. Ce qui est advenu, puisque les nouveaux arrivants ont été systématiquement aiguillés vers la PJJ (organe de l’Etat), créant le chaos constaté au tribunal de Bobigny.

«Volonté». Mardi, une réunion s’est tenue entre le conseil général et les services de l’Etat : préfet, procureur de la République, police aux frontières (PAF), Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). En réponse aux demandes de Bartolone, il a été décidé «une répartition plus équitable et homogène» des mineurs entre tous les départements du territoire français. Peut-être la fin du tunnel. Mais, sur les terres du député PS, on reste sur ses gardes. Pour être mise en œuvre, cette solution doit être consolidée juridiquement : le parquet de Seine-Saint-Denis devra se dessaisir au profit du parquet du département dans lequel sera envoyé l’enfant. Pour que ça marche vraiment, il faut «un mode d’emploi clair. Une vraie volonté de tous. J’attends de voir», dit Claude Bartolone.

Hier à 8 heures du matin, il y avait encore trois mineurs emmitouflés dans des couvertures orangequi tapaient à la porte du tribunal de Bobigny.

3/10/2011, TONINO SERAFINI, WILLY LE DEVIN

Source : Libération

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