mercredi 27 novembre 2024 21:29

Les « mineurs isolés », des réfugiés vulnérables et traumatisés

Un nombre croissant d’enfants arrivent seuls, sans le moindre parent, en Europe.

Leur prise en charge est encadrée par des règles que les Vingt-Huit ont de plus en plus de mal à mettre en œuvre.

Hossein, Tadjik du nord-est de l’Afghanistan, a gagné la France à l’âge de 16 ans dans une solitude absolue, sans un parent ni même un ami. Il venait de perdre son frère de 14 ans, noyé entre la Grèce et la Turquie. Leur père, invalide, avait organisé et financé leur périple.

Retour en arrière. En Afghanistan, Hossein travaillait depuis l’enfance pour nourrir ses six petits frères et sœurs. Alors qu’il avait 15 ans et conduisait un taxi, des clients l’avaient violé puis menacé. Leur chantage laissait entrevoir un immense déshonneur : diffuser des photos prises pendant leur crime si la victime ne leur donnait pas tout ce qu’ils demandaient.

À bout, Hossein avait réagi en blessant grièvement le frère d’un agresseur. Jugeant le risque de représailles inévitable, son père s’était résolu à vendre sa maison, emprunter de l’argent à un parent et à enjoindre à ses deux aînés de fuir.

Arrivé en France « fragile et blessé »

Après un voyage de six mois et la perte à jamais de son frère, devenu son unique attache, Hossein est arrivé en France « sur la défensive », « fragile et blessé », souffrant de « forts maux de tête » et sujet à « de grosses bouffées d’angoisse la nuit », selon le récit de Juliette Leconte, psychologue à France Terre d’Asile (1).

Des diagnostics attestant de tels traumatismes sont fréquents lorsqu’il s’agit des « mineurs isolés », vocable utilisé en droit européen pour définir le statut de Hossein et des milliers de moins de 18 ans qui rejoignent l’Europe seuls, sous la responsabilité d’aucun adulte, ou y perdent la trace d’un éventuel accompagnateur majeur.

Un chiffre qui a presque doublé entre 2013 et 2014

Ces derniers sont, comme les demandeurs d’asile, de plus en plus nombreux sur le Vieux Continent. Le chiffre a presque doublé entre 2013 et 2014, passant de 12 725 à 23 150, d’après Eurostat. Les premières données pour 2015 montrent que la progression s’intensifie.

Garçons pour leur majorité, ils ont pour la plupart entre 16 et 17 ans, mais peuvent être bien plus jeunes. En 2013, un garçonnet de 11 ans avait survécu au naufrage qui avait fait 366 morts au large de Lampedusa et suscité l’émotion en Europe.

Ils n’ont en général pas choisi l’exil, exécutant l’ordre d’un parent voulant les protéger d’une guerre, d’un conflit familial, s’en débarrasser ou améliorer les ressources économiques du foyer.

« Ils ne comprennent pas le sens de leur départ »

« Souvent, ils ne comprennent pas le sens de leur départ, ce qui favorise le traumatisme », explique Juliette Leconte à La Croix. Une perte de confiance dans les adultes, un sentiment d’être mort pour les siens, un mutisme sont autant de malaises relevés par la psychologue. Les épreuves du voyage – mort d’un compagnon, vols, maltraitance des passeurs – nouent plus encore le traumatisme.

Liée à leur jeune âge, la vulnérabilité de ces singuliers exilés exige un accueil adapté et vigilant que les pays d’Europe ont de plus en plus de mal à mettre en œuvre.

« Une législation pose des garde-fous pour protéger les mineurs isolés, mais en raison de leur nombre croissant, ces garde-fous ne sont pas mis en place », résume Elona Bokshi, qui réalise une étude comparative intitulée « Plus jamais seul » portant sur l’accueil des mineurs isolés dans cinq pays d’Europe pour le Conseil européen pour les exilés et les réfugiés (ECRE).

Obtention de l’asile à la majorité

Plusieurs directives européennes déterminent des conditions d’accueil et de protection. Elles s’inspirent d’un principe de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, selon lequel son intérêt supérieur doit guider toute décision le concernant.

Ainsi, au sein des Vingt-Huit, les mineurs isolés doivent recevoir automatiquement un titre de séjour – ce n’est qu’à leur majorité qu’ils peuvent obtenir l’asile, qu’ils demandent souvent dès le début de leur séjour pour pouvoir en jouir dès leurs 18 ans.

Ils ne peuvent être détenus, ne doivent pas être logés avec des adultes, doivent bénéficier d’un représentant ou pouvoir aller à l’école comme tout enfant du pays d’accueil…

Des règles d’accueil plus ou moins appliquées

Des règles générales que les Vingt-Huit appliquent de manière fort diverse. La Suède, qui accueille le plus grand nombre de mineurs isolés, occupe la place du bon élève. L’Écosse reçoit aussi quelques bons points, qui a mis en œuvre un système de tuteurs censés rencontrer l’enfant deux fois par semaine.

« Un bon modèle car les tuteurs ont bénéficié d’une formation, mais qui est pensé pour les garçons, relève Elona Bokshi. Les filles ne sont pas logées dans un centre, mais dans un hôtel. »

Lors de sa visite du centre hongrois de Fot, en juin, cette dernière a constaté des « conditions basiques » pour les mineurs isolés, dont la prise en charge se résumait à assurer les repas et l’habillement.

« Dans un centre normal, il doit y avoir des cours », rappelle-t-elle, précisant toutefois qu’une amélioration est intervenue ensuite avec la mise en place d’un système de tuteurs. Et de regretter qu’en Europe, le cas des mineurs isolés fasse l’objet d’« uncadre commun très général, mais pas d’une approche commune dans les pratiques, alors que les standards de base sont très différents ».

28/10/15, MARIANNE MEUNIER

Source : La Croix

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