vendredi 29 novembre 2024 11:40

Les noyés, accessoires de nos politiques migratoires

Les passeurs criminels ne sont pas les seuls responsables des naufrages en Méditerranée : ils sont la conséquence directe des politiques suivies en Europe sous la pression du discours anti-immigration.

Ces drames à répétition pourraient être évités, si l'Europe s'en donnait les moyens. Si elle accroissait les efforts de co-développement, si elle pesait de tout son poids pour forcer la résolution des conflits, si elle agissait pour aider la Libye à retrouver une stabilité, si elle se montrait plus généreuse avec les demandeurs d'asile, si elle organisait une surveillance digne de ce nom des eaux méditerranéennes... Mais elle ne fait rien de tout cela, malgré la succession de naufrages, malgré la liste des noyés qui s'allonge : Plus de 3.000 morts en 2014, soit l'équivalent de deux Titanics ; combien en 2015 ?

L'Europe est même allée jusqu'à réduire la voilure des opérations visant à sauver des vies : l'an dernier la mission de sauvetage italienne "Mare Nostrum", qui poussait son action jusqu'aux côtes libyennes, a été abolie au profit d'une opération européenne de surveillance des côtes, "Triton", bien moins ambitieuse... Mais l'on a jugé que Triton suffirait bien... Faire davantage, ne serait-ce pas donner une incitation supplémentaire aux candidats à l'aventure migratoire ?

Le reflet de notre vision de l'immigration

Criminelle, cette inaction n'est en réalité que le reflet de notre vision de l'immigration. En Europe, l'immigré est perçu comme une menace : s'il meurt avant de poser le pied sur le sol européen, c'est une menace en moins. S'il chavire et se noie, c'est un motif de dissuasion pour tous ceux qui songent, eux aussi, à s'embarquer... Voilà le non-dit de ces drames, voilà la raison plus ou moins consciente de notre indifférence face aux drames de la Méditerranée.

Même si ce n'est jamais assumé, ces corps qui flottent sans vie sont en réalité une part intégrante d'une politique, décidée sciemment, sous la pression des populismes grandissants. Apeurés par les réactions de leurs électorats respectifs, les gouvernements ont l'avalisée et l'appliquent avec cynisme.

Dans chaque pays, sous des formes différentes, la réthorique anti-immigration prospère sous l'aiguillon de partis populistes : elle est portée par le FN en France, La Ligue du Nord en Italie, Ukip en Grande Bretagne, Pegida en Allemagne... Elle est reprise par les grands partis de gouvernement, en toute inhumanité. Le gouvernement britannique a carrément déclaré qu'il ne participerait désormais plus aux opérations de surveillance, expliquant que celles-ci ne faisaient qu'encourager les migrations...

Le découragement du HCR

Pesante, violente, cette réthorique anti-immigrés bloque les tentatives de retrouver et de sauver les migrants en Méditerranée, comme s'en désole le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU. En Italie, la semaine dernière, lorsqu'on a appris que 400 migrants avaient chaviré, les opérations de recherches n'ont pas été à la hauteur et les responsables du HCR ont mis cet échec au compte de la période électorale. Abasourdi, Laurens Jolles, responsable du HCR en Italie a exprimé son découragement :

Le niveau de la discussion, comparé à celui qu'on avait il y a 20 ans, est proprement incroyable. Cela n'aurait pas été possible dans le passé, la réthorique raciste, la réthorique d'intolérance. Dans les années 60, 70, 80, nous n'aurions jamais accepté cela".

Il aurait pu ajouter que dans ces mêmes années, nous n'aurions sans doute jamais accepté le cynisme avec lequel nous traitons les réfugiés érythréens ou syriens, qui représentent la moitié des migrants tentant leur chance sur ces bateaux à destination de l'Europe. Les voies légales, pour accueillir ces personnes fuyant l'horreur, sont obstruées. La France se targue d'être présente "quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l'injustice, contre l'oppression et contre la barbarie" (Bernard Cazeneuve, décembre 2014) : elle est le pays le moins généreux d'Europe pour ce qui est de l'asile des Syriens, si l'on rapporte à sa population le nombre de réfugiés...

Abandonner ces politiques de la forteresse

La crise économique ne peut justifier notre absence d'humanité. Il est temps d'abandonner l'ensemble de ces politiques immorales, ces politiques de la forteresse. Si l'Europe veut rester à la hauteur de son histoire et de ses valeurs, elle doit tout faire pour éviter de nouveaux naufrages, tout faire pour accueillir légalement les dizaines de milliers de familles qui frappent désespérément à ses portes, prêtes à mourir pour fuir leur cauchemar. 

20-04-2015, Pascal Riché

Source : nouvelobs.com

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