jeudi 28 novembre 2024 04:41

Les restrictions de visas prive les Etats-Unis d'entrepreneurs étrangers prometteurs

Andy Grove d'Intel, Sergey Brin de Google, Pierre Omidyar d'eBay ou Jerry Yang de Yahoo! : ces fondateurs de quelques-unes des plus grandes sociétés américaines ont un point en commun : à l'instar de 41 % des dirigeants des 500 premières entreprises aux Etats-Unis, ils sont tous immigrés (pour 90 d'entre eux) ou enfants d'immigrés (pour 104 d'entre eux), selon une étude du Partnership for a New American Economy. Le célèbre fondateur d'Apple, Steve Jobs, est lui-même le fils d'un Syrien, résidant aujourd'hui au Nevada.

En février, lors d'un discours adressé aux salariés de l'entreprise Facebook, le président Barack Obama a affirmé que "nous voulons plus d'Andy Grove ici, aux Etats-Unis", faisant référence au succès du fondateur d'Intel, d'origine hongroise. "Nous ne voulons pas les voir lancer Intel en Chine, ou en France", a poursuivi le président américain. Malgré le succès rencontré par ces figures emblématiques de l'économie américaine, l'administration ne prévoit toujours aucun visa destiné aux entrepreneurs étrangers, a relevé, samedi 9 juin, le magazine britannique The Economist.

Quelques jours plus tôt, le projet Startup Act 2.0, prévoyant de créer une nouvelle catégorie de visas pour les entrepreneurs, a été introduit à la Chambre des représentants américaine. Mais jusqu'à présent, seul un visa investisseur, dont les frais de dossier s'élèvent à 1 500 dollars, est disponible. Il requiert du demandeur un investissement compris entre 500 000 et un million de dollars, et la garantie de créer au moins dix emplois à temps plein réservés aux citoyens américains.

POUR 100 IMMIGRES QUALIFIÉS, 44 EMPLOIS CRÉES

L'administration américaine rend ainsi difficile l'accès à un visa pour les jeunes entrepreneurs étrangers, dont la contribution à l'économie nationale est pourtant reconnue. L'étude "Immigration and American Jobs", menée en décembre 2011 par l'American Enterprise Institute for Public Policy Research et le Partnership for a New American Economy, montre ainsi que l'arrivée de 100 immigrés hautement qualifiés sur le territoire américain permet la création de 44 emplois pour les nationaux. Les travailleurs temporaires - qualifiés ou non - contribuent eux aussi à dynamiser l'économie, selon l'étude.

De 1995 à 2005, les entrepreneurs d'origine immigrée ont contribué à la formation du quart des sociétés de haute technologie aux Etats-Unis, créant au passage 450 000 emplois. L'étude du Partnership for a New American Economy, datant de juin 2011, montre que, parmi les 500 premières entreprises américaines, celles fondées par des immigrés ou des enfants d'immigrés emploient à elles seules 3,6 millions de personnes, "soit la population entière du Connecticut". Cumulés, leurs chiffres d'affaires dépassent le produit intérieur brut (PIB) de n'importe quel pays dans le monde, en dehors des Etats-Unis, de la Chine et du Japon.

Mais alors que 18 % de ces 500 plus grandes sociétés sont fondées par des migrants de première génération, le nombre de visas octroyés pour des raisons économiques chute aux Etats-Unis, contrairement à des pays comme le Canada ou l'Australie. Selon The Economist, les visas économiques représentaient, en 2011, 67 % des visas permanents délivrés au Canada, contre seulement 18 % en 1991. Aux Etats-Unis, cette part a à l'inverse reculé en vingt ans, les visas économiques ne représentant aujourd'hui que 13 % des visas permanents octroyés, contre 18 % en 1991.

DES ÉTATS-UNIS AU CHILI

Le magazine britannique évoque à ce sujet l'histoire de Claudio Carnino. Ce jeune entrepreneur italien, qui avait reçu l'accord d'investisseurs à Rhode Island, s'est vu refuser sa demande de visa par les services de l'immigration. Il est parti s'installer au Chili, où il dirige désormais une société aidant les entreprises à trouver de nouveaux clients sur Facebook. Le jeune homme a obtenu son visa en l'espace de deux semaines.

Au Chili, le système de visas pour les entrepreneurs est sans comparaison avec les règles américaines en vigueur. A travers le programme Start-Up Chile, des créateurs de start-ups étrangers sélectionnés reçoivent un visa temporaire d'un an, le temps de développer leur projet. Le gouvernement chilien leur offre également 40 000 dollars, sans demander de participation en retour.

L'Australie est aussi un pays attractif pour les entrepreneurs étrangers. Le nombre de visas pour travailleurs hautement qualifiés y est passé de 103 000 à 126 000 par année en cinq ans, selon The Economist. Soit l'équivalent du nombre de visas de travailleurs qualifiés délivrés par les Etats-Unis, mais pour une population quatorze fois moins importante.

INQUIÉTUDE DES ENTREPRISES

Face aux efforts menés par ces différents pays, les restrictions imposées par le système américain soulèvent des inquiétudes, notamment au regard de récents cas de refus. L'exemple d'Amit Aharoni, jeune Israélien diplômé de l'université de Stanford, est des plus révélateurs. Lui qui avait garanti un financement d'1,65 million de dollars pour son entreprise CruiseWise.com, et avait embauché neuf personnes en l'espace d'un an, s'est vu refuser sa demande de visa par les services de l'immigration américains en octobre dernier.

Contraint de quitter le pays pour le Canada, il a finalement réussi à revenir aux Etats-Unis grâce à un mouvement de soutien. Mais ce genre de situations inquiète les entreprises américaines, qui demandent une réforme du système de visas pour les travailleurs hautement qualifiés. En 2011, selon Reuters, la société Intel n'a pas pu faire muter 50 ingénieurs finlandais aux Etats-Unis.

En février, les services de l'immigration ont finalement tenu une conférence en ligne pour comprendre l'impact des politiques de l'immigration sur l'entrepreneuriat. L'un des participants, le chercheur de l'université de Duke Vivek Wadha, a déclaré à Reuters que la Silicon Valley, haut-lieu de l'innovation aux Etats-Unis, "saignait" du fait de ces restrictions. Selon lui, les règles actuelles empêchent les start-ups créées par des entrepreneurs étrangers de sponsoriser, c'est à dire financer, leurs visas.

De plus en plus d'immigrés hautement qualifiés quittent en effet le pays, préférant lancer leurs entreprises en Chine, ou Brésil ou en Inde. Vivek Wadha a d'ailleurs mené une étude à ce sujet, publiée en avril 2011. "L'innovation que l'on pourrait connaître ici a lieu à l'étranger", regrette-t-il dans un article publié par le site Venture Beat. "Sans nous en rendre compte, nous exportons notre prospérité, et renforçons nos concurrents."

12.06.2012, Valentine Pasquesoone

Source : Le Monde.fr

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