jeudi 28 novembre 2024 23:35

Malaisie: la traite était de notoriété publique, selon les habitants

La Malaisie s'est dite choquée d'avoir découvert des tombes et des camps destinés à la traite près de la frontière avec la Thaïlande, mais selon les habitants de cette région et les associations, le trafic était de notoriété publique.

Sani, 80 ans, habite dans un coin reculé de l'Etat de Perlis, dans le nord de la Malaisie. Comme nombre de villageois, il raconte que cela fait longtemps que des migrants affamés, certains portant les stigmates de mauvais traitements, débarquent au village, hagards.

Ce qu'ils racontent constraste singulièrement avec la version des autorités malaisiennes, qui se sont dites surprises par la découverte des camps dans une zone montagneuse recouverte par la jungle. La Malaisie est accusée de longue date par les défenseurs des droits de l'Homme de ne pas en faire assez pour lutter contre la traite des êtres humains.

"Je vis ici depuis 39 ans, j'ai vu de nombreux Rohingyas et ils sont toujours dans un sale état", dit Sani, évoquant les membres de cette minorité musulmane qui fuient les persécutions en Birmanie.

Des Rohingyas émaciés arrivent régulièrement dans sa petite ferme pour mendier de la nourriture, de l'eau et des vêtements. "On fait ce qu'on peut. Et s'ils n'arrivent à pas tenir debout ou à marcher, nous appelons les autorités qui viennent les chercher", raconte le vieil homme.

D'après la police malaisienne, 139 fosses et 28 camps abandonnés récemment, capables d'enfermer des centaines de personnes, ont été mis au jour. Cette découverte constitue la preuve la plus importante à ce jour de l'existence d'un commerce d'êtres humains à grande échelle sur le sol malaisien.
Début mai, la Thaïlande avait découvert dans la jungle, dans le sud du pays, cinq camps et 35 corps. C'est cette découverte qui avait décidé Bangkok à sévir contre la traite, ce qui avait désorganisé les filières. Des milliers de migrants, dont la destination finale est bien souvent la Malaisie, ont été abandonnés en mer par les passeurs.

La Malaisie avait dans un premier temps démenti que de tels camps puissent exister sur son territoire. Puis le ministre de l'Intérieur Zahid Hamidi s'était dit "choqué" que ce soit bel et bien le cas.
 'Oeillères'

Mais les associations affirment qu'elles tirent la sonnette d'alarme depuis des années et que rien n'a été fait.

"En Malaisie, ils ont des oeillères et ils se bouchent les oreilles, ils ont laissé ces réseaux agir en toute impunité", accuse Amy Smith, directrice du groupe Fortify Rights.

Depuis longtemps, dit-elle, des victimes et même des passeurs racontent à l'association comment des migrants vulnérables sont retenus contre leur gré dans des camps ou chez des particuliers en Malaisie.
"La Malaisie doit rendre des comptes pour les abus qui se produisent sur son sol", ajoute-t-elle.

La Malaisie, pays à majorité musulmane et relativement prospère, est un aimant pour les migrants: les Rohingyas, mais aussi les Bangladais, qui cherchent à échapper à la pauvreté.

D'après le rapport 2014 du département d'Etat américain sur la traite des êtres humains, les Rohingyas et les autres exilés se retrouvent souvent exploités, sous la coupe de policiers ou d'autres représentants de l'autorité, piégés par l'endettement dans un état d'esclavage virtuel ou contraints à la prostitution.

Kuala Lumpur, dans ce rapport, décrochait le rang le plus bas, celui réservé aux pays qui échouent à lutter contre le phénomène et qui les rend passibles de sanctions américaines.

Beaucoup se demandent si la corruption, courante en Malaisie, est à l'oeuvre dans ce trafic. Les défenseurs des droits pointent en particulier un doigt accusateur sur la police, qui manquerait de professionnalisme, serait corrompue et aurait un penchant pour les passages à tabac.

"Pour une telle échelle de trafic, il faut qu'il y ait de gros joueurs", estime Aegile Fernandez, membre de l'association Tenaganita. "Il faut des trafiquants, et que les autorités et les gens du coin soient impliqués".
Elle affirme que les trafiquants tuent parfois leurs captifs si les familles n'arrivent pas à verser de rançon, ou s'ils tombent malades.

La police vient d'annoncer l'arrestation depuis le début de l'année de 37 trafiquants présumés, sans autre précision. Le ministre de l'Intérieur a lui déclaré que plusieurs gardes-forestiers avaient été mis sous les verrous.

27 mai. 2015,Satish Cheney

Source : AFP

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