vendredi 29 novembre 2024 06:33

Médias et immigration : une longue caricature

Le deuxième atelier sur l’analyse des informations transmises par les médias a eu lieu à Cosmopolis le 14 avril. Il traitait de la représentation de l’immigré dans les médias. Les invités, Philippe Guihéneuf des Indignés du PAF/ CID et Marie-France Malonga, sociologue, spécialiste des questions "médias et minorités" ont pu ouvrir le débat à partir d’exemples concrets.

Pour plus de dynamisme, la séance a été divisée en trois parties : la première traitant de l’immigré, la deuxième du résident et la troisième de l’immigré de seconde génération. Le collectif artistique "Etrange Miroir", représenté par Marie Arlais et Salima Kettar, a apporté sa touche artistique en fin d’atelier.

L’immigration, malgré ses diversités, est majoritairement stéréotypée dans les medias : illégale, misérabiliste et toujours du Sud vers le Nord. La pauvreté se mêle avec la violence dans des flashs d’information spectaculaire. En réalité l’immigration est le voyage d’une personne d’un point à un autre et les causes en sont multiples. Marie-France Malonga nous explique que « l’amalgame est tel que l’on parle d’immigré de seconde génération pour des personnes natives. Cela accentue la représentation du français qui est différent, il acquière alors une qualité d’étranger indélébile ». C’est une manière courante de représenter l’Autre : la victime qui a besoin d’assistance.

Dans les medias, L'immigré est souvent représenté comme l'autre, celui qui est différent, qui dérange l'ordre social

La terminologie est primordiale puisqu’elle donne un statut d’étranger à celui que ne l’est pas. « Les immigrés deviennent une minorité au sens large, constituée d’individus qui ont une différence intrinsèque construite par la société » continue-t-elle. La répétition de ces images explique une multitude de parcours par une unique raison et renforce les stéréotypes. Elle permet la justification de politique ou d’opinion extrêmes.

Mensonges et erreurs

Mais tout cela est-il vraiment intentionnel ? Est-ce du à des pressions politiques, économiques ou sociétales ? Apres avoir visionné deux extrait vidéo montrant cette fabrication de l’information, Philippe Guihéneuf nous explique que les raisons sont variées. « Ici, le premier extrait est un mensonge alors que le deuxième est une erreur ».

Pour Clandestins, ils traversent l’enfer pour venir en France, diffusé sur M6, des clandestins ont été incités à migrer pour le reportage (recrutement, prise en charge des frais..) avant d’être abandonnés dans Paris une fois arrivés. La production dément, mais Télérama est formel.

Dans le second extrait diffusé sur LCI et intitulé Drame de Lampedusa, le présentateur réécrit les slogans des manifestants. « Fuori » (dehors !) ne s’adresse pas aux migrants mais aux représentants politiques… Pour l’émission Arrêt sur images, LCI a confondu solidarité avec exaspération.

Les erreurs d’interprétation sont fréquentes. Elles sont souvent dues à une analyse rapide, sans recul. Ce sont des erreurs déontologiques qui contribuent à la fabrication d’un imaginaire. Il y a donc du mensonge et de la manipulation volontaire. Pour illustrer son propos Philippe Guihéneuf nous raconte une conversation tenue au sénat lors d’une invitation des Indignes du PAF par la commission culture. « On nous a dit que c’était normal de ne pas forcer les actionnaires d’un média à parler de quelque chose qui les dérange. C’est aussi la liberté de la presse ! »

Mécanisme du sensationnel

Seulement, les explications ne sont pas si simples, la plupart du temps la stéréotypisation de l’immigré est liée à la mécanique du sensationnel. Tout part d’un constat très critiquable : à l’échelle du quotidien ce qui est lu, c’est ce qui choque. Philippe Guihéneuf nous explique le mécanisme. « Informer c’est parler d’une aspérité de la journée, alors pour informer on cherche ce qui est différent. Lorsque qu’il n’y a pas de matière factuelle, on va chercher autre chose qui s’appuie sur cette différence. La couleur de peau en est une et lorsqu’on peut en plus y ajouter de l’émotion, ça fait le buzz. » Il conclut, « c’est contre cette mécanique que se battent les Indignés du PAF, pas contre les journalistes. Nous savons que les journalistes ne sont pas des personnes plus mauvaises que les autres ! »

Pourquoi précise-t-on encore une origine maghrébine ou africaine alors qu'on ne précise pas des origines bretonnes ou périgourdines?

La mission du journaliste c’est d’être le porte voix. Il est la pour expliquer, pour créer le débat. Il est le garant de la démocratie. C’est pour cela que s’insurge Marie-France Malonga. « Les disparités, c’est du fait divers ! Au lieu de traiter des sujets de fond, on traite tout sujet comme un fait divers. Les informations transmettent de fausses vérités et les idées préconçues prennent le pas. La stigmatisation est accentuée. Pourquoi précise-t-on encore une origine maghrébine ou africaine alors qu’on ne précise pas des origines bretonnes ou périgourdines ? »

Même lorsque l’erreur est montrée du doigt, les médias s’excusent peu ou du bout des lèvres. A l’image de David Pujadas et du « Musulman marié à une française » ! Interpellé par une spectatrice, David Pujadas s’excuse du bout des lèvres dans Des paroles et des actes du 22 janvier.

Multiculturalisme

Heureusement la situation évolue. On voit plus de mixité et de multiculturalisme dans les médias. C’est le fruit du travail de beaucoup d’association, de collectif ou d’individu. On peut voir le travail que le collectif Etrange miroir fait avec les femmes immigrées. Il y a aussi un devoir citoyen de lecture de l’information, mais il faut permettre à tout le monde de pouvoir le faire. Il faut expliquer l’immigration, ses origines et ses diversités.

Pour cela il faut raconter la construction de la France et ne plus occulter ou amoindrir le colonialisme ! Il faut raconter la reconstruction de l’après-guerre et la Marche pour l’égalité de 1983 ! Mettons en avant les richesses d’une France black-blanc-beur !

Pauline Olivier

Le prochain atelier, sur la mise en scène de la religion dans les médias, aura lieu à Cosmopolis à Nantes le 16 Juin 2015 à 20h, entrée gratuite. Il est possible de revivre les deux premiers ateliers avec le livetweet réalisé par Fragil sur Twitter : #Deshabillonslinfo.

30 avril 2015, Pierre-Adrien Roux

Source : fragil.org

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