jeudi 28 novembre 2024 17:32

Méditerranée : traverser, coûte que coûte

Face à des migrants prêts à laisser leurs vies et des sommes astronomiques aux réseaux de passeurs, l’Europe dépense de plus en plus pour garder ses frontières. Etat des lieux.

L’entrée illégale dans la forteresse européenne a un coût financier et humain de plus en plus important. Tout comme le fait de repousser les candidats à l’immigration, qui jouent leur vie dans ce voyage. Pour enquêter, Libération s’est associé au collectif The Migrants Files (TMF) qui, après avoir compté le nombre de morts aux portes de l’Europe en 2014, s’intéresse en 2015 aux questions d’argent. Les chiffres dévoilés ce jeudi montrent que deux économies quasi équivalentes grossissent en parallèle.

 Prix payé par les migrants aux passeurs

D’un côté, les passeurs, parfois soutenus par des gouvernements, s’engraissent sur les trajets périlleux : selon TMF, au moins 16 milliards d’euros ont été dépensés par les migrants depuis 2000 pour venir jusqu’en Europe. De l’autre, les Etats financent de nouvelles technologies pour détecter les migrants, investissent dans la construction de murs toujours plus hauts et multiplient les expulsions coûteuses. Selon TMF, la facture pour les Vingt-Huit depuis 2000 atteint au minimum 13 milliards d’euros (lire pages 4-5).

Aéroports. De quels migrants parle-t-on ici ? De ceux qui, sans visa, tentent d’entrer par voie maritime (Méditerranée ou Atlantique) ou terrestre. Ils sont de plus en plus nombreux : de début 2015 au 10 juin, 105 000 sont arrivés, selon le HCR. Pour la même période, ils n’étaient que 49 000 en 2014, année où on avait comptabilisé 219 000 arrivées, soit 3,5 fois plus qu’en 2013 (60 000). Les guerres et les dictatures expliquent cette augmentation : sur les arrivées de 2015, 39 % fuient la Syrie et les pays arabes, 14 % sont Afghans, 8 % Erythréens, 6 % Somaliens. Ces passages terrestres et marins, les plus médiatisés et meurtriers, ne représentent pourtant pas les trajets les plus nombreux. «La route la plus importante pour l’arrivée des migrants en Europe se fait par les aéroports internationaux», commente Frontex, l’agence chargée du contrôle des frontières. Ils entrent parfois avec des visas temporaires ou de faux papiers. Au total, selon Eurostat, 1,7 million de migrants sont entrés dans l’Union européenne en 2012. En comparaison, les 219 000 arrivées par mer en 2014 sont donc très minoritaires, mais ce sont eux qui risquent leur vie : après un record de 3 500 morts en 2014, 1 850 sont déjà décédés cette année.

Pape. Contre eux, l’UE et ses pays membres ont construit un mur à Melilla pour 47 millions d’euros. Ils ont dépensé 11,3 milliards d’euros en expulsions depuis 2000. Ce sont toutes ces portes closes que, sans les nommer, le pape François a mises en cause mercredi : «Je vous invite tous à demander pardon [à Dieu] pour les personnes et institutions qui ferment les portes à ces gens qui cherchent une famille, qui veulent être protégés.» François «encourage le travail de ceux qui leur apportent de l’aide».

La sécurisation des frontières - la Hongrie a fermé mercredi la sienne avec la Serbie et veut construire une clôture de 4 mètres de haut sur 175 km - et l’augmentation des contrôles n’empêchent pas les traversées de croître en 2015. Voyage en avion vers la Suède avec de faux papiers pour 7 500 euros, traversée en bateau du Sénégal aux Canaries pour 75 euros, longue marche entre la Macédoine et la Grèce pour 150 euros… les choix sont variés, les prix divers. La route la plus fréquentée depuis début 2015 ? Le passage par l’est de l’Europe, conduisant en Grèce à partir de la Turquie ou de la Bulgarie : 48 000 personnes l’ont emprunté. Coût médian : 1 900 euros. Vient ensuite le passage par le centre de la Méditerranée (plus de 50 000 personnes depuis janvier) pour un montant de 1 500 euros.

17/6/2015, Michel Henry et Alexandre Léchenet

Source : Libération

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