vendredi 29 novembre 2024 05:36

Moscou, deux millions de musulmans, quatre mosquées

La pénurie de lieux de prière tend les relations entre communautés, et les fondamentalistes pourraient mettre sous leur coupe certains fidèles.

Vendredi dernier, c'est sur un papier journal détrempé étalé dans la rue, sous la pluie battante, qu'Ali a prié, comme des dizaines de milliers de musulmans. En ce jour de fête de l'Aïd, la mosquée du quartier Prospekt Mira, la plus grande de Moscou, était inaccessible à la majorité des fidèles, contraignant ce Tadjik de 24 ans à se rabattre sur une rue avoisinante - et nombre de Moscovites, agacés, à slalomer entre les fidèles pour rejoindre leur travail. Le tout sous le regard grognon d'une armada de policiers.

Employé sur l'un des nombreux chantiers de la capitale russe, Ali partage une chambre avec des amis à la périphérie de la ville. Lorsqu'il souhaite officiellement célébrer son culte, il se heurte au même problème: la pénurie de mosquées à Moscou, qui ne dispose que de quatre lieux de prière pour une population évaluée à environ 2 millions de musulmans. «Ce n'est pas assez, et là où j'habite il n'y en a aucune», soupire Ali.

Issus du Caucase russe ou d'Asie centrale

Au sein du Conseil des muftis de Russie, le diagnostic est identique et les remèdes préconisés, radicaux. «Pour éviter les tensions nationales et religieuses, il faut ouvrir une mosquée dans chacun des dix arrondissements de la capitale», explique son vice-président, Rouchan Khasrat Abbiassov.

Issus du Caucase russe ou d'Asie centrale, souvent employés illégaux sur les chantiers de construction, les musulmans de Moscou forment une communauté qui échappe pour l'essentiel aux statistiques. Faute de lieux de prière officiellement contrôlés, explique le Conseil des muftis, une partie de ces migrants musulmans pourrait tomber sous la coupe d'islamistes radicaux qui «s'occuperaient eux-mêmes de religion, sans que l'on sache qui sont les prédicateurs et où ils délivrent leurs sermons».

Dans les quartiers moscovites où sont implantées des mosquées, la cohabitation entre habitants et fidèles se révèle difficile. «Le vendredi, on a l'impression de ne pas être en Russie», se plaint un résident de Zamoskvoretchie.

Histoire de désengorger les lieux de culte, la mairie de Moscou souhaitait construire un centre humanitaire islamiste dans le quartier de Mitino (nord-ouest). Mais sous la pression des riverains en colère, elle a dû, fin septembre, renoncer à ce projet.

200 nouvelles églises

Aujourd'hui, le principal fonctionnaire de la ville, Sergueï Sobyanine, révise son discours: «Il n'y a pas lieu de construire des mosquées, car les deux tiers des fidèles ne résident pas dans la capitale.» Parallèlement, en coopération avec le patriarcat orthodoxe, la municipalité prévoit d'ériger 200 nouvelles églises, en plus des 645 basiliques existantes.

Loin de clore la polémique, le refus du chef de la ville traduit l'embarras du Kremlin, coincé entre nationalistes russes et islamistes radicaux. Le tribunal de Kaliningrad a récemment condamné à trois ans de colonie pénitentiaire un ressortissant de cette enclave qui avait tenté, en novembre 2011, de faire exploser une mosquée en construction, dont la population refusait l'érection.

Pour sa part, le clergé islamiste voit se confirmer ses craintes d'un débordement radical: à Kazan (Tatarstan), l'imam de la mosquée al-Ikhlas, non enregistrée auprès des autorités, a été inculpé le 18 octobre pour «activités extrémistes». Cet été, lui et ses supporteurs avaient organisé une manifestation de soutien aux musulmans emprisonnés, soupçonnés du meurtre, fin juillet, de l'imam modéré de cette république de l'est du pays.

Pour Nikolaï Shabourov, spécialiste de la religion, «si l'on ne règle pas le problème des mosquées, ces tensions risquent de s'aggraver».

30/10/2012, Pierre Avril

Source : Le Figaro

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