mercredi 27 novembre 2024 07:49

Omar samaoli: chaque fois qu'il ya une crise, on s'emploie à trouver un responsable. Actuellement, en France, c'est l'étranger

Après la montée en puissance de l’extrême droite française, un grand nombre de résidents marocains et étrangers font une évaluation de leur projet migratoire et de leur choix. L’idée d’un retour au pays d’origine  s’impose de plus en plus sérieusement.

Omar Samaoli, gérontologue, occupe le poste de directeur de l'Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF).

Enseignant en sciences médico-sociales, il assure la formation en gérontologie à l'UFR Pitié-Salpêtrière. Lauréat du prix national de gérontologie, Fondation nationale de gérontologie, il mène
des recherches en gérontologie transculturelle et en géronto-psychiatrie.

Il est  auteur de plusieurs publications, rapports de recherche et communications scientifiques dans ces domaines.

Libé : Comment expliquez-vous l'escalade des idées de l'extrême droite aux  dernières élections régionales en France ?

Omar Samaoli :  L'extrême droite en France et ses idées n’ont pas toujours été  aussi répandues et ses partisans n’avaient pas la  capacité de parler aux  médias comme ils le font aujourd’hui.
Au nom de la liberté d'expression, le discours politique de l’extrême droite est devenu banal en France et se fonde clairement sur la responsabilité de relier les problèmes de la population à la présence des étrangers. Il n'y a plus de réponse,  comme auparavant avec les partis démocratiques et ce discours xénophobe trouve une oreille attentive dans toutes les catégories de la population française surtout chez les personnes qui sont en difficulté dans les régions sinistrées par le chômage.

Le discours raciste prôné par le Front national est devenu quelque chose de normal et admissible dans la société française. Comment expliquez-vous cette séduction rapide d’une partie de la société française par son discours alors que ce parti  ne propose pas de projet économique et social réaliste?
Cela peut s’expliquer par la situation actuelle, le  Français  moyen vit dans l’anxiété et la peur. L’étranger en est responsable selon le discours du FN. Ce raisonnement est  typique du  Français moyen proche du discours de  l'extrême droite, qui soutient  la responsabilité de l'étranger et menace  de l'expulser, tandis que le discours politique de la Gauche démocratique et du reste des partis démocratiques n’est plus en mesure de rassurer une partie importante de l’opinion publique. Chaque fois que nous sommes en crise, cela conduit à la situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Chaque fois qu’il y a une crise, on doit  trouver un responsable. Actuellement, en France, c’est  l’étranger.

On connaît  le problème, crise économique  et chômage élevé, mais au lieu de dire la vérité, on incrimine à tort l'étranger. Si vous prenez par exemple la région  du Nord-Pas de Calais  qui subit  la crise économique, il n’y  a  plus de travail, ni pour les Français ni pour les étrangers depuis la fermeture des mines de charbon,  des usines de sidérurgie et de textile. C’est une région   sinistrée et c’est là que  le Front national a obtenu le plus grand nombre de voix, il a même été numéro 1  au premier tour.

Outre des ouvriers, d’autres électeurs de la bourgeoisie, les petits commerçants du sud-est de la France ont voté eux aussi fortement pour ce parti extrémiste. Pouvons-nous dire que la  montée de ces idées est plutôt un problème identitaire, de peur que la France perde son statut dans le monde sans oublier une certaine nostalgie du passé colonial ?

Si nous prenons les données électorales du premier tour des élections régionales de Paris et sa région, nous remarquons l'absence de forte poussée  de l'extrême droite dans cette région riche, tandis que le mouvement est inverse dans  le Nord-Pas de Calais, région  pauvre. D’après mon analyse, le facteur économique est  important dans la compréhension de cette situation.

Le discours de l’extrême droite a porté sur trois choses: le logement, l'indemnité pour perte d'emploi, et l'identité religieuse et nationale.

 Sur ce point, le message  du FN dit que l’étranger est celui qui prend le travail des Français. Idem pour les indemnités chômage. S’ajoute à cela  la question de l'affiliation religieuse et culturelle, qui est un  élément exploité par ce discours. Il y a aussi des attaques contre l'Union européenne, tenue pour responsable de la situation des Français (crise, chômage). La tendance est au  chauvinisme et au souverainisme.
Cette tendance  ne se limite pourtant pas à l'extrême droite. Les partis classiques sont aussi des partis souverainistes, qui sont contre la pleine intégration en Europe et la fusion fédérale, comme l'Allemagne le demande.

Les partis démocratiques classiques  en France n’utilisent pas ces arguments, à mon avis. L'extrême droite en revanche les développe à grande échelle et pense qu'il est nécessaire de rendre compte de notre souveraineté, de nos positions politiques nationales et de notre identité. Les décisions économiques et politiques doivent être prises exclusivement à Paris et non à Bruxelles.

En tant que spécialiste des questions des migrants et de la vieillesse de l’immigration, comment les immigrés ont-ils perçu ce discours raciste relayé fréquemment par les médias?

Le migrant  n'a plus aucun statut  dans ce pays, même les partis démocratiques qui le  défendaient  avant, l’ont  abandonné.  Ils ne reconnaissent pas le rôle joué par les immigrés dans l'histoire de ce pays, à  long ou court terme, cela se produit sous la pression de la propagation des idées de l'extrémisme dans la société française et les attitudes hostiles à l'immigration d’une façon générale.
Dans ces circonstances, tout le monde est inquiet de ce qui va arriver demain. C’est  l’inquiétude qui règne chez les étrangers et les Français d'origine étrangère. Bien que les idées du FN ne soient pas réalisables. Comment pouvez-vous jeter des centaines de milliers d’immigrants et leurs enfants qui ont la nationalité du pays d’accueil?  Leur pays de résidence est légitimement et légalement la  France et ils n’ont connu aucun autre pays.

Après la montée en puissance de l’extrême droite française, un grand nombre de résidents marocains et étrangers font une évaluation de leur projet migratoire et de leur choix, et l’idée d’un retour au pays d’origine s’est posée sérieusement. La question de l’avenir en France se pose à ces migrants et à leurs enfants qui portent la nationalité du pays d’accueil.

Cela  doit interpeller  les pays d'origine et les inciter à prendre en compte cette situation en cas de problème.

12/01/2016, Youssef Lahlal

Source : Libération

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