lundi 25 novembre 2024 15:52

Passer du statut d’étudiant étranger à celui de salarié en France : le parcours du combattant

Libération suit au long cours les parcours d’étrangers rencontrés dans les longues files d’attente devant les préfectures, au fil de leurs démarches. Pour ce premier épisode, rencontre avec deux jeunes qui tentent de passer du statut d’étudiant au statut de salariés.

 A la préfecture, «je me suis sentie méprisée»

Vous pensez qu’il suffit de trouver un travail pour travailler ? Pas forcément vrai si vous êtes étranger. Dans les files d’attente des préfectures, même avec une promesse d’embauche, les candidats peuvent se heurter à l’administration, et parfois au mépris. Témoignages d’Anissa et de Mehdi (les prénoms ont été changés).

On intercepte Anissa devant une préfecture francilienne. Jeune femme de 23 ans, elle vient de passer les premières étapes du changement de statut d’étudiant à salarié. Grâce à son master 2 en commerce, et parce qu’elle est tunisienne (les conditions d’obtention des titres de séjour changent en fonction des nationalités), elle a eu droit à une Autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée d’un an, censée lui donner le temps de trouver du travail (1).

L’entreprise pour qui Anissa travaillait déjà par intermittence (grâce à son APS) veut désormais la recruter en CDI à la fin de l’année. Son contrat était censé démarrer mardi, son titre de séjour devait expirer au tout début du mois.

«Décalage entre exigences de la préfecture et réalité de l’entreprise»

Accompagnée d’une représentante de son entreprise, Anissa nous fait d’abord un aveu : «Aujourd’hui je comprends pourquoi les entreprises sont réticentes à recruter des étrangers. Ce n’est pas du racisme mais du bon sens.» Elle regrette le décalage entre les exigences de la préfecture et la réalité de l’entreprise. Et la représentante de l’entreprise d’insister : «C’est absurde. L’entreprise n’est pas en mesure d’envoyer tous ces documents [comme on peut le voir ci-dessous, ndlr] dans un délai si court à la préfecture. A les entendre, il aurait fallu tout envoyer dans l’heure pour qu’elle obtienne simplement un récépissé en moins d’un mois.» D’autant que l’entreprise en question compte plus de 7 000 salariés et n’a pas l’habitude de ce genre de paperasse, ajoute-t-elle avant d’assurer que «ça en dissuaderait plus d’un. Et encore, même si tu as galéré, tu as eu beaucoup de chance que l’entreprise se déplace, que ta directrice t’encourage et patiente. Après, il faut le dire aussi, l’entreprise te voulait toi, et pas un autre, parce que tu as largement fait tes preuves.»

Anissa rapplique : «J’ai commencé à travailler avec mon APS. Ils m’ont dit que je n’avais pas le droit de bosser plus de vingt heures par semaine avec ça. Du coup, en prévision de mon CDI, je leur ai demandé, à défaut d’accélérer la procédure, de me rallonger mon autorisation de séjour (APS) le temps que mon dossier soit traité… J’ai eu beau leur expliquer tout ça, revenir régulièrement, je me heurtais toujours au même mur. Je me suis sentie méprisée, une des responsables gesticulait et rigolait alors que je lui expliquais que je risquais de perdre cette opportunité si on ne trouvait pas de solution provisoire. A l’entendre, c’était de ma faute, j’aurais dû anticiper. Mais anticiper quoi ? D’être recrutée ?» Elle ne comprend pas pourquoi ce changement de statut, censé être un aboutissement pour elle comme pour cette préfecture qui l’a suivie tout au long de son parcours, s’accompagne d’un traitement aussi arbitraire quoique légal. Elle n’était pas du tout préparée à affronter de tels obstacles, simplement pour avoir le droit d’être recrutée.

La représentante de l’entreprise qui s’est déplacée soupire : «Ce qui est incroyable c’est que pour débloquer cette situation, il a fallu que je me pointe, et que la directrice d’Anissa envoie un courrier au préfet par porteur, expliquant pourquoi elle a besoin qu’Anissa soit opérationnelle rapidement. Là, comme par magie, on nous a proposé plusieurs solutions. C’est clair, une Arabe seule sans aucun soutien n’a aucune chance, peu importe son parcours ou sa situation.» Mais Anissa, la première concernée, est moins catégorique : cette histoire ne refléterait pas «le racisme au sens pur et dur mais plutôt du mépris». C’est le souvenir qu’elle en gardera, même après avoir réussi à débloquer sa situation.

«Dites à l’entreprise de se dépêcher»

Cette humiliation, elle n’est pas la seule à l’avoir vécue. Mehdi, 25 ans, Tunisien arrivé en France avec un visa étudiant en 2010, est en plein dedans. Après ses cinq ans d’études, il a un bachelor en business management et a obtenu un master 2 en finance. Lui aussi a eu droit à une autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée d’un an. Il s’est donc employé pendant huit mois à enchaîner stages et entretiens. Deux semaines avant la fin de son APS, il obtient enfin une promesse d’embauche en CDI.

Mehdi s’est donc immédiatement rendu à la préfecture pour demander un délai d’au moins un mois, le temps que son dossier de changement de statut soit examiné par la Dirrecte. C’est la troisième fois cette semaine qu’il se pointe à la préfecture. Il n’y a essuyé que des refus, au risque d’agacer ses futurs employeurs.

«Honnêtement, je me sens malmené. Ils ne sont pas du tout compréhensifs. C’est hallucinant, ils refusent ma demande de prolongation de mon APS parce que j’aurais dû, selon eux, entamer cette démarche au moins deux mois avant la date d’expiration de mon titre de séjour. Sauf que je viens d’avoir cette promesse d’embauche…, explique-t-il. Mais non, j’aurais dû me débrouiller pour l’avoir avant.» Ils ne sont pas tous fermés, certains ont l’air sensés mais se font probablement broyer par le système, nuance-t-il. Comment faire alors ? «Dites à l’entreprise de se dépêcher», lui répond-on. «Vous vous rendez compte que je ne suis pas en position d’exiger de l’entreprise qui envisage de m’embaucher quoi que ce soit ? Ce ne sont pas les postulants qui manquent», tente-t-il en faisant simplement appel à leur bon sens. En vain.

«Tout ça pour ça… Je paye mon loyer, mes factures, j’ai un boulot. Tout est en règle… On dirait qu’ils le font exprès. Ça me dépasse», se désole Mehdi, qui refuse de voir du racisme là-dedans. Il considère que si une entreprise choisit de le recruter et appuie cette décision par une lettre de motivation à l’adresse de la préfecture, malgré la conjoncture, c’est qu’a priori il a les compétences requises pour le poste. Lui, qui remplit pourtant toutes les cases, se sent démuni. «Par peur de griller mes chances, je n’ose même pas me défendre», regrette-t-il. Nous l’avons recontacté mercredi, une semaine après la date effective d’expiration de son titre de séjour : «Concernant le changement de statut, j’ai pu le réaliser à temps mais sans avoir de récépissé. Ça y est, je suis en situation irrégulière, je n’ai aucune preuve que mon dossier de changement de statut est en cours de traitement. Je m’y rends tous les jours pour les supplier de me trouver une solution, les réponses sont différentes en fonction de mes interlocuteurs mais toujours avec le même résultat, négatif.»

Une fois l’APS obtenue, c’est à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dirrecte) de décider si oui ou non cette personne peut travailler, en fonction de plusieurs critères : parmi eux, il faut que l’emploi soit en relation avec sa formation et assorti d’une rémunération supérieure à 1,5 fois le montant du Smic, que l’offre d’emploi corresponde exactement au profil de l’étudiant, que l’entreprise justifie par une lettre de motivation pourquoi elle choisit de recruter ce candidat plutôt qu’un Français et prouve l’étendue de ses compétences. Par ailleurs, le métier qui correspond à l’emploi obtenu ne doit pas être «en tension» (trop demandé), sauf pour quelques exceptions. Enfin, c’est à la préfecture que revient la décision finale.

19 décembre 2016 :Dounia Hadni

Source : Libération

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