mardi 26 novembre 2024 09:35

Pour un enseignement digne de la langue arabe à l'école laïque et républicaine

A l'école primaire, par l'intermédiaire du dispositif ELCO (enseignement des langues et cultures d'origine), l'enseignement de la langue arabe aux enfants issus de l'immigration est laissé à la discrétion d'Etats autoritaires du Maghreb (Algérie, Maroc) ou en passe de ne plus l'être (du moins on l'espère) : la Tunisie. Ces enfants français d'origine maghrébine sont ainsi maintenus en situation de tutelle culturelle par rapport aux pays dont sont originaires leurs parents alors qu'ils n'y sont eux, très souvent, même pas nés !

Au secondaire, c'est un champ de ruines. Depuis de nombreuses années, la langue arabe est cantonnée soit dans les établissements de l'élite des centres-villes (Lycée Henri IV…) soit dans les collèges des villes les plus en difficulté où la République a ghettoïsé les populations issues de l'immigration et de ses anciennes colonies. Les professeurs d'arabe y enseignent comme leurs collègues avec des moyens dérisoires et dans des conditions très difficiles.

La spécificité de l'arabe tient à ce que souvent les professeurs certifiés ou agrégés d'arabe ne se voient pas confier d'affectation complète voire se retrouvent sans affectation ou bien sont amenés à enseigner d'autres matières que celle pour laquelle ils se sont formés. Il n'est pas rare qu'ils soient aussi encouragés à devenir le VRP de leur matière : faire le tour des établissements et des salons pour inciter les élèves et leurs parents à choisir l'arabe. C'est en feignant de constater cette situation issue de ses propres orientations que les gouvernements de droite prétextent depuis 2002 l'absence de demande en arabe pour organiser méthodiquement la baisse régulière, chaque année, du nombre de postes mis aux concours de recrutement des professeurs jusqu'à la fermeture pure et simple du Capes d'arabe en 2011 !

Rappelons que cette politique s'inscrit dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et que l'arabe est loin d'être la seule matière à en payer le prix : le russe (pas de Capes de russe non plus cette année), les langues anciennes, l'Education physique et sportive (EPS) et d'autres matières comme l'histoire-géographie jugées accessoires par le ministère font les frais des économies de grande échelle imposées à l'éducation nationale en France au nom du dogme de la rigueur budgétaire alors que le gouvernement s'apprête à alléger l'impôt sur la fortune (ISF) au bénéfice des plus riches.

GHETTOÏSATION ET ÉLITISME

Dans le supérieur, on a coutume d'affirmer (comme pour le primaire) que la situation de la langue arabe est plus enviable. Il n'en est rien. L'arabe dispose certes de diplômes labélisés LLCE (lettres, langues et civilisations étrangères) ou LEA (Langues étrangères appliquées) dans plusieurs universités de région parisienne et de province ainsi que d'une vitrine à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), diplômes animés par des professeurs renommés, reconnus et méritants mais cela ne permet pas de sortir cette langue de ses ghettos académiques : ghetto de pauvres issus de l'immigration à la recherche légitime de leurs racines ou ghetto de riches issus des classes intellectuelles les plus favorisées.

A l'occasion du salon Expolangues (du 3 au 5 février) mettant à l'honneur la langue arabe, nos politiques en profitent pour ressortir leurs beaux discours éculés sur l'enseignement de l'arabe en France "qui ne doit pas être laissée aux associations culturelles et qui a toute sa place dans l'école de la République". Et le ministre d'affirmer jeudi 3 février que "la France est le seul pays de l'espace européen à proposer un enseignement laïc de l'arabe, du collège à l'université". Mensonge par omission car la langue arabe au primaire est plus que jamais majoritairement enseignée par des associations dites "culturelles" dans les quartiers populaires, hors de l'école publique.

Tout ce que le ministre a à proposer, ce sont des dispositifs de classes européennes, "pôles linguistiques d'excellence", où les langues arabes et orientales auraient toute leur place. On ne sort pas d'une logique de ghettoïsation et d'élitisme. N'oublions pas que ce sont les mêmes qui étalent leur mépris de cette langue depuis tant d'années, mépris de l'éducation et de la culture en général ! Rien n'est fait pour combattre les préjugés contre la langue arabe et ses locuteurs !

Il me parait fondamental de réserver à l'enseignement de la langue arabe une place aussi importante que des langues comme l'espagnol ou l'allemand en permettant, aux élèves issus des classes moyennes d'accéder à son apprentissage, en lançant des campagnes nationales de promotion de cette langue et de la civilisation arabo-musulmane et enfin en rouvrant les concours avec un nombre de postes décent. N'en déplaise à M. Sarkozy, la France a une dette envers les populations issues de ses ex-colonies dont celles d'Afrique du Nord. Qu'elle l'honore dignement !

11/2/2011, Julien Leers

Source : Le Monde

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