mardi 26 novembre 2024 21:02

Pourquoi le droit de vote des étrangers n'a aucune chance d'être adopté avant juin

La commission des lois du Sénat, à majorité de gauche, a adopté ce mardi la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers non-communautaires aux élections locales. Mais un amendement "rédactionnel" rend très improbable le vote d'une telle loi d'ici les prochaines législatives. Explications...

e basculement du Sénat à gauche n’a pas vraiment modifié, jusqu’à présent, le fonctionnement des institutions, que ce soit sur le plan législatif ou sur le plan des relations entre le gouvernement et le Parlement. Tout simplement parce que, dans ces deux domaines, le Sénat n’a que des pouvoirs limités : il ne peut pas mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement et celui-ci peut toujours donner le dernier mot à l’Assemblée nationale pour lui faire voter, seule, la loi.

Comme prévu, les pratiques politiques de la Ve République, du moins celles que l’on peut qualifier d’ordinaires, n’ont donc pas été bouleversées par le changement de majorité au Sénat.

Il fallait donc que la seconde chambre trouve un autre domaine où elle dispose de pouvoirs plus forts. Elle croyait l’avoir trouvé en utilisant la voie de la révision constitutionnelle, en décidant de reprendre et de discuter, le 8 décembre prochain, une proposition de révision sur l’attribution du droit de vote aux étrangers aux élections municipales que l’Assemblée nationale avait adoptée le 3 mai 2000[1] et lui avait transmise le 4 mai.

Une manœuvre inédite depuis 1958

La manœuvre de la nouvelle majorité sénatoriale était donc claire : adopter en termes identiques la proposition de loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale en mai 2000 et exiger du président de la République qu’il organise, en vertu de l’article 89, un référendum afin de faire approuver cette révision de la Constitution par les électeurs.

Ce faisant, le Sénat espérait ouvrir, sur le terrain constitutionnel et sur un sujet sensible, une perspective totalement inédite depuis 1958, car jamais, en effet, sous la Ve République, une situation de ce type ne s’était encore produite.

Mais ceux qui avaient imaginé le stratagème avaient oublié que le diable se cache souvent dans les détails, surtout en matière juridique, et qu’ un petit détail peut, à lui seul, faire échouer la manœuvre.

Quel est ce petit détail ?

Il tient au fait que dans la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale le 3 mai 2000, il est précisé que c’est par l’insertion d’un nouvel article, l’article 72-1, que le droit de vote (et d’éligibilité) aux élections municipales peut être accordé. Or, depuis 2000, plusieurs révisions constitutionnelles sont intervenues, et notamment celle de 2003 qui a déjà créé, précisément, un article 72-1 !

Dans ces conditions, le Sénat ne pourra pas voter « en termes identiques » le texte adopté par l’Assemblée, puisqu’il faudra modifier le numéro de l’article à insérer dans la Constitution, l’article 72-1 étant, en quelque sorte, déjà pris ! C’est ce vient de faire la Commission des lois ce mardi en adoptant un amendement « rédactionnel » remplaçant l’article 72-1 par un article 72-5, afin de tenir compte des articles rajoutés dans la Constitution depuis 2000.

Tel « l’arroseur arrosé », la nouvelle majorité sénatoriale en sera donc pour ses frais, le texte voté le 8 décembre ne pouvant pas être adopté conforme et devant retourner devant l’Assemblée nationale, qui ne le votera pas.

"Proposition" de révision ne veut pas dire "projet" de révision

Mais cet épisode original de la vie parlementaire mérite tout de même que l’on s’y intéresse du point de vue constitutionnel, car trop d’erreurs ont été commises par les commentateurs de l’événement, notamment dans les médias.

Il a été trop souvent dit, en effet, que le président de la République aurait pu, au cas où la proposition de loi constitutionnelle aurait été adoptée en termes identiques par l’Assemblée et le Sénat, et au cas où il aurait souhaité poursuivre la procédure, choisir entre le Congrès et le référendum. Une telle affirmation est fausse et révèle une regrettable confusion entre un projet de révision et une proposition de révision.

Une proposition de révision, c'est-à-dire d’initiative parlementaire, ne peut être approuvée que par un référendum. Seul un projet de révision, c'est-à-dire émanant du président de la République, peut être soumis, après avoir été voté par les deux chambres, soit à référendum, soit au Congrès. L’article 89, alinéa 3, de la Constitution est très clair sur ce point : le chef de l’État ne peut convoquer le Congrès que s’il s’agit de faire approuver un projet, dont il a eu lui-même l’initiative. S’il s’agit d’une proposition, et tel est le cas pour le droit de vote des étrangers, il n’a pas la possibilité de la soumettre au Congrès.

Il convenait donc de rectifier cette erreur, trop souvent commise, et de bien comprendre le sens de la manœuvre que la majorité sénatoriale aurait bien voulu faire aboutir si le petit détail que l’on a rappelé n’était pas venu contrarier ses plans : adopter la proposition de loi constitutionnelle déjà votée par l’Assemblée et tenter de piéger le président de la République en exigeant de lui qu’il fasse un référendum, sachant parfaitement que la voie du Congrès est dans ce cas impraticable.

Les pouvoirs constitutionnels du président de la République

Mais, même dans ce cas, Nicolas Sarkozy aurait-il été vraiment embarrassé ou mis en difficulté ? Aurait-il été, constitutionnellement, dans l’obligation de procéder à un référendum ? A entendre la quasi-totalité des universitaires, ceux qu’il est d’usage de considérer comme la « doctrine », la réponse est claire : le président de la République, dans un cas comme celui-là, n’aurait pas le choix et devrait procéder à un référendum.

En réalité, rien n’est moins sûr, et les arguments ne manquent pas pour le démontrer.

D’abord, parce qu’en matière de révision constitutionnelle, le rôle du Président de la République est toujours décisif.

Il faut rappeler en premier lieu qu’il a, sous forme de projets, l’initiative des révisions, et que dès ce stade une première option s’ouvre à lui : il peut choisir la voie usuelle, celle de l’article 89, en soumettant le projet aux deux chambres du Parlement pour adoption, puis en le faisant approuver par référendum ou par le Congrès ; mais il peut aussi choisir la voie exceptionnelle, celle du référendum direct de l’article 11, pratiquée à deux reprises par le général de Gaulle (en 1962 et en 1969) et confirmée par la suite par François Mitterrand[2].

Il peut, en second lieu, alors que les deux chambres ont adopté le projet de révision, décider de ne pas mener la procédure jusqu’à son terme en en n’organisant pas un référendum ou en ne convoquant pas le Congrès : tel a été le cas en 1973 à propos du quinquennat, en 1998 à propos du CSM[3], et tel est le cas aujourd’hui – jusqu’à nouvel ordre – à propos de la « règle d’or » budgétaire.

Il apparaît donc très clairement que le président dispose, par rapport au Parlement, d’une grande latitude, puisque l’expérience prouve qu’il peut totalement le contourner ou, ce qui est particulièrement intéressant en l’occurrence, ne pas donner suite à un texte qui aurait pourtant été adopté par les deux chambres.

Ce qui est valable pour un projet de révision d’initiative présidentielle – c’est le second argument – l’est tout autant pour une proposition de révision d’initiative parlementaire.

Pour la simple et bonne raison que l’article 89 de la Constitution, après avoir précisé d’abord qu’un projet ou qu’une proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques, se borne à indiquer ensuite que « La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum », sans fixer de délai.

Et le fait de ne pas avoir fixé de délai permet justement de distinguer, en ce qui concerne les pouvoirs du chef de l’État, ce qui relève de l’obligation ou de la simple faculté.

Un premier exemple le démontre aisément : celui de la promulgation des lois. En affirmant que « Le président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée », l’article 10, alinéa 1er de la Constitution place le Président dans une situation de « compétence liée » et ne lui laisse aucune issue, sauf à demander au parlement « une nouvelle délibération de la loi », ce qui ne s’est pratiquement jamais produit.

Un second exemple, a contrario, permet de le démontrer tout aussi facilement : celui de la signature des ordonnances. C’est parce que l’article 13 de la Constitution dispose, sans autre précision et sans prévoir de délai, que « Le président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres », que François Mitterrand a légitimement refusé, à trois reprises, de signer les ordonnances que lui avait présentées Jacques Chirac en 1986 lors de la première cohabitation.

Il existe enfin un argument supplémentaire militant en faveur d’une entière liberté de choix du président.

Cet argument est tiré des dispositions de l’article 5 de la Constitution, qui font de lui, non seulement le garant des intérêts vitaux de l’Etat, mais aussi l’arbitre chargé d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et le gardien de la Constitution. A ce titre, c’est parce qu’il est chargé de « veiller au respect de la Constitution » qu’il lui est loisible de décider s’il convient ou non de la modifier, tant du point de vue de l’opportunité que du point de vue du fond.

Surtout en ce qui concerne des sujets aussi fondamentaux pour les valeurs républicaines que sont l’électorat, la citoyenneté, et l’exercice de la souveraineté nationale.

1/12/2011, Olivier Passelecq

Source : Atlantico

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