mardi 26 novembre 2024 23:22

Propos de Guéant sur l'intégration : "comment veut-il qu'on le prenne bien ?"

Le discours du ministre de l'Intérieur, jeudi matin à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, fait grincer des dents les habitants.

Les employés municipaux retirent les barrières métalliques, dernières traces du passage du ministre de l'Intérieur un peu plus tôt. Aux alentours de 15h, le calme règne dans la cité des Bosquets de Montfermeil, à côté de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Seuls les éclats de voix des élèves de l'école maternelle Jean-Baptiste Clément brisent le silence de ce quartier en pleine rénovation urbaine où des immeubles délabrés et progressivement murés côtoient des logements flambant neufs, moins hauts, plus beaux.

"Il a fait un petit tour et c'est tout"

Ce matin, pourtant, les Bosquets ont connu une agitation toute particulière : 6 ans presque jour pour jour après la fin des émeutes de 2005 qui avaient démarré non loin de là, Claude Guéant est venu parler d'intégration face à un panel d'acteurs locaux de la ville. Et quelques habitants. "Il a fait un petit tour dans la cité et c'est tout, il a filé faire son discours" commente une mère de famille. Comme la plupart des gens du quartier, elle n'était pas au courant de la visite du ministre. Elle regrette : "on aurait pu lui dire des choses, lui expliquer la réalité. Maintenant ça dépend pourquoi il était là." Une interrogation partagée par la plupart de ses voisins, aussi surpris que dubitatifs.

"Les immigrés doivent adopter nos coutumes"

Après quelques pas dans le quartier, le ministre a fait une halte au CLJ, le centre de loisirs géré par la police nationale, avant de prendre la parole à la Maison de l'Habitat et des Cultures, une structure récente qui accompagne les habitants durant les travaux de rénovation et leur propose, entre autres, différents ateliers de bricolage et de jardinage. Le ministre avait préparé le terrain un peu plus tôt sur "LCI" et affirmé que "les immigrés doivent adopter nos coutumes, respecter nos lois et être intégrés". Se basant sur un rapport mettant l'accent sur une "intensification de l'identité musulmane", Claude Guéant avait aussi expliqué son déplacement à Montfermeil par le fait que "se constituent à Montfermeil, à Clichy-sous-Bois, (...) des communautés qui sont d'origine immigrée, qui vivent selon des règles qui sont les leurs, qui s'éloignent du respect de la règle commune, et qui d'ailleurs ont peu connaissance des lois de la République, des modes de vie de la France."

"Je connais et respecte les lois, les règles et la laïcité"

Une fois sur place, le ministre a insisté sur "le risque du communautarisme" qu'il estime "grand" pour "notre société" : "ce risque, c'est celui de la création de communautés étrangères refermées sur elles-mêmes, fidèles aux règles qui caractérisent leur culture ou leur religion, mais peu soucieuses, voire peu informées des lois de la République et des principes essentiels qui structurent notre vivre ensemble". Du "bla-bla, n'importe quoi" selon Hanane, 20 ans, jeune et jolie habitante de Clichy : "je suis française d'origine marocaine et je respecte les coutumes et la religion de mes parents tout comme je respecte toutes les religions. Je me sens intégrée, je connais et respecte les lois, les règles et la laïcité. Mais l'intégration fonctionne dans les deux sens : je m'intègre et je respecte, mais eux aussi, au gouvernement, doivent nous respecter."

"Les étrangers doivent apprendre notre langue"

Au cours de son discours, le ministre a également déclaré que "les étrangers admis à vivre en France doivent adopter nos règles de vie et apprendre notre langue", avant de s'interroger : "comment voulez-vous trouver facilement du travail si vous ne parlez pas le français ?". Et la jeune femme de poursuivre : "nos parents ont appris avec nous quand on était à l'école. Quand ma mère est arrivée en France, personne ne lui a dit 'venez Madame si vous voulez apprendre le français vous pouvez'. Ça ne s'est pas passé comme ça" ajoute la jeune femme qui ne ressent aucune montée du communautarisme : "j'ai des voisins de différentes nationalités et ça se passe bien."

"C'est beaucoup de provocation quand même"

"Venir dire ça dans une cité où la communauté musulmane est importante, c'est beaucoup de provocation" selon Abderrahim, 24 ans, qui vit aux Bosquets et tue un peu le temps au centre social intercommunal de la Dhuys. Un ami s'invite dans la conversation : "Ce qu'a dit le ministre, c'est faux, c'est n'importe quoi." Abderrahim a été choqué par le dispositif entourant le déplacement de Claude Guéant, et "les 100.000 policiers autour de lui. Il n'y avait pas un mètre sans policier : il y avait la BAC, les inspecteurs, tout le monde. Pour quelqu'un qui vient nous dire de mieux nous intégrer, c'est un peu fort."

La présence policière est selon lui un des principaux problèmes du quartier : "ils sont vraiment beaucoup, beaucoup trop, tout le temps." Pas plus tard qu'hier, le jeune intérimaire qui "prend toutes les missions qui passent" a été contrôlé en sortant de chez lui : "tu pars travailler et tu commences par un contrôle, c'est dur." Il raconte aussi la récente interpellation d'un ami "parce qu'il avait un pied sur un mur" : "il a été frappé et insulté dans le camion. On lui a dit 'sale noir'." "C'est chiant à la longue" ajoute le jeune homme, qui craint qu'à terme "un jour ou l'autre, ça ne pète à nouveau."

"Il veut qu'on s'intègre mais ne nous laisse pas l'opportunité"

Le jeune homme essaie de comprendre pourquoi le ministre a tenu ses propos et "ne voit pas trop." Pour lui "ça ne sert à rien", si ce n'est à blesser les gens et à risquer des réactions de protestation : "comment veut-il qu'on le prenne bien ?" demande-t-il, ajoutant "il veut qu'on s'intègre mais il ne nous laisse pas l'opportunité d'avancer. Quand on a un travail, qu'on paie un loyer, des impôts, on se sent davantage intégré." Quant à l'apprentissage de la langue, il préfère que son père n'entende pas le discours : "il est venu il y a 40 ans pour travailler dans le bâtiment car on avait besoin de lui. Il a appris sur le tas."

"Le ministre a dit que les noirs et les arabes sont trop ensemble"

Certains habitants du quartier parlent peu ou mal le français. Ils ne connaissent pas le ministre et ne saisissent pas tous la portée de ses propos. L'un d'eux "vient d'arriver du pays". Il demande à son neveu de lui expliquer ce qu'a dit le ministre. Le collégien de 12 ans, qui l'a vu mais "n'a pas bien compris", résume : "le ministre a dit que les noirs et les arabes sont trop ensemble et pas assez avec les autres." "Ah bon" répond son oncle un peu dépassé. Et l'enfant de conclure : "oui sauf que c'est pas vrai, on est ensemble".

18/11/2022, Céline Rastello

Source : Le Nouvel Observateur

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