mercredi 27 novembre 2024 16:54

Puisque les enfants étrangers isolés n’intéressent personne, parlons en !

Ce soir après avoir dégusté la victoire à 5 points de la France sur l’Australie, avoir tremblé pour notre équipe de basket enfin finaliste de l’Euro, les français, souvent les mêmes, dégusteront avec gourmandise le retour de DSK même si les sondages avancent qu’ils n’en attendent guère de précisions sur ce qui s’est passé dans ce désormais monument national qu’est devenue la suite 2208 du Sofitel de New York étant donné qu’en 7 minutes chrono chacun qui réfléchit un tant soit peu sait ce qui s’est passé mais ne peut être avoué, ni par l’un, ni par l’autre des protagonistes ! Si l’on rajoute un zest de défaite en coupe David devant l’Espagne et un brin de Fête de l’Huma qui a permis à Jean–Luc Melanchon de rencontrer le peuple de gauche, observons que l’attention des français en ce dimanche qui commence à sentir l’automne est retenue par des sujets fondamentaux.

J’ai donc scrupule à m’arrêter sur un dossier qui me préoccupe professionnellement parlant et comme citoyen : celui de ces enfants – personnes de moins de 18 ans je le rappelle – non accompagnés d’adultes exerçant l’autorité parentale qui « débarquent » en Seine Saint Denis au milieu du conflit qui oppose frontalement depuis le 1er septembre le président du conseil général à l’Etat (voir mon blog 432), le premier reprochant au deuxième de ne pas assumer ses responsabilités.

Au bout de deux semaines force et de constater que ce dossier n’émeut guère l’opinion et ses leaders. Quelques articles de presse ou reportages télévisés, des réunions à l’Elysée et place Vendôme histoire de prendre la mesure du problème, bref, des clapotis. Rien ne bouge. On dit même que le gouvernement jouerait le pourrissement sur ordre de l’Elysée.

On aura plus parlé cette semaine du n ième plan gouvernemental de lutte contre la délinquance des enfants roms en région parisienne, plan tout aussi irréaliste que les précédents. On y a même appris, ce qui a fait rire ceux qui connaissent le sujet, que désormais l’aide sociale à l’enfance roumaine répondait aux standards européens ; on nous a annoncé qu’on allait pratiquer un raccompagnement forcé de ces enfants en Roumanie sans nous dire comment on allait contourner la décision du Conseil constitutionnel de 2010. Mais s’agissant de ces enfants qui arrivent régulièrement dans notre pays (entre 6 à 7000 par an), certains revendiquant le statut de refugiés politiques, d’autres venant pour apprendre à lire et gagner leur vie et celle de leur famille, mais qui ne commettent aucun délit, rien. Un encéphalogramme plat.

Ayant été ces quinze derniers jours avec les collègues du parquet et les éducateurs du SEAT de Bobigny au coeur de la réponse apportée aux quelques 70 ou 80 jeunes qui se sont présentés au tribunal de Bobigny, je crois devoir témoigner et apporter quelques éléments d’information qui pourront être utiles demain.

Ces jeunes sont plutôt des adolescents, parfois grands de taille. Ajoutons que parmi eux tentent de se glisser des majeurs désireux de profiter de la protection de l’enfance français. Ils viennent notemment du Mali, de la Mauritanie, de l’Egypte, parfois du Sri Lanka ou du Népal.

Ils ont généralement des papiers. Au moins un copie d’extrait acte de naissance, fréquemment un passeport ou une carte d’identité qui ont l’apparence de l’authentique.

La plate forme d’accueil, d’évaluation et d’orientation du Conseil général ne fonctionnant plus, les services sociaux ou des « gens » dans la rue les renvoient vers le tribunal pour enfants sachant que la loi veut que tout mineur puisse saisir un juge en avançant être en danger. Il y a aussi ceux – minoritaires aujourd’hui – qui sont libérés de la zone d’attente où ils étaient retenus depuis leur arrivée de l’étranger. Recevant les uns et les autres, le juge a eu le souci de ne retenir que ceux qui apparaissaient bien comme mineurs, comme en danger, mais encore dans des difficultés appelant une réponse d’urgence. Parfois il a été saisit par le parquet lui-même qui les a estimé en danger.

Conformément à ce qu’elle avait annoncé l’aide sociale à l’enfance de la Seine Saint-Denis a refusé d’accueillir les enfants qui lui ont été confiés par le juge ou encore parle procureur de la République qui de son cote pouvait être alerté par les commissariats ou le SEAT. Nous avons eu le souci, de faire en sorte qu’aucun de ces jeunes, parfois en mauvais état, répondant aux critères légaux ne restent à la rue. Et nous y sommes presque parvenus. C’est déjà cela.

Devant le refus formel d’intervenir de l’ASE, des associations habilitées, le LAO de la Croix Rouge de Taverny et même la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour quatre ou cinq d’entre eux ont pu débloquer des places d’accueil. Pour d’autres il a fallu faire preuve d’imagination pour trouver des financements de chambres d’hôtel, parfois avec l’appui du réseau caritatif sachant que la préfecture sollicitée refusa d‘alimenter un fonds au bénéfice de la PJJ pour payer ces accueils hôteliers ou tout simplement de mobiliser le 115

Prenant le mors au dent, conscient qu’il ne pouvait pas rester sans réaction devant l’inexécution des décision de justice par une institution, a fortiori publique comme l’est le président du conseil général, et constatant qu’un groupe de jeunes commençait à s’agréger au tribunal, le parquet a décidé le jeudi 15 en fin d’après midi de faire accompagner les jeunes dans les locaux de l’ASE situé de l’autre coté de la RN 186. Spectacle plaisant et original que celui de voir la responsable de la section Mineurs jusqu’aux dans les locaux de l’ASE pour faire exécuter les décisions du juge !

Face à des adolescents de chair et de sang, et non plus à des décisions de justice, le conseil général créa alors la surprise en acceptant d’accueillir ces enfants et de les faire acheminer vers un hôtel. Cédait-il ? Que nenni ! Dès le vendredi matin la nouvelle se répandait que M. Bartolone en personne raccompagnerait ces jeunes au tribunal éventuellement avec des média à ses basques. En vérité, les jeunes étaient déjà de retour dans les locaux du Tribunal pour enfants.

On en arrivait à pratiquer l’accueil séquentiel introduit par la loi du 5 mars 2007 : la nuit à l’ASE et le jour au tribunal ! Ubu roi.

Un coup droit du parquet, quoiqu’en ayant subit un revers du conseil général, les enfants jouant le rôle de balle, il fallait arrêter le match qui risquait de dégénérer au détriment des jeunes. Le parquet ne relança pas.

Et ce vendredi soir 16 septembre faute d’avoir trouvé une réponse institutionnelle le juge de permanence que j’étais se retrouva devant ce groupe qui avait perdu une ou deux unités pour en récupérer d’autres à expliquer aux jeunes que la France ne pouvant faire plus que de les remettre à la rue pour le week-end munis de tickets de métro et de restaurant et d’un plan de la région Ile de France. Il leur revenait de rechercher un point de chute. Il n’y avait pas de quoi être fier comme magistrat de la République en charge de protéger des enfants. Mais la fatigue accumulée aidant il faut parfois savoir plier …

J’en arrivais à redouter qu’ils décident de rester dans le tribunal – il eut été amusant de les faire évacuer par des vigiles ou par la police – ou qu’ils commettent des larcins pendant le week-end auquel cas … l’Etat retrouverait une raison de s’occuper d’eux ! Du billard pour une plaidoirie en défense axée sur la force majeure et une plainte reconventionnelle contre l’Etat et le département pour mise en péril d’un enfant !

Chacun pouvait partir vers un week-end studieux : coupe du monde de rugby, coupe d’Europe de basket, DSK, etc.

Que vais- je trouver demain 19 septembre en abordant le hall du tribunal ? Que se sera-t-il passé ce week-end ? Vers quoi va-t-on ?

Les professionnels de la juridiction sont délaissés par leur ministère de tutelle. Aucun coup de téléphone ; aucun intérêt pour ces jeunes. On fait simplement attention à ce que la PJJ, donc l’Etat, n’en fasse pas trop pour ne pas dévier de la priorité pénale décidée par le gouvernement quand la loi exige qu’elle s’occupe aussi des enfants en danger.

Après avoir imprudemment interdit il y a 8 jours à son Service éducatif de recueillir des renseignements sur ces jeunes à fournir au parquet ou au juge de permanence, la Chancellerie semble avoir mis vendredi de l’eau dans son vin. C’est désormais le service de base - on reçoit les jeunes et on fait des propositions au juge - voire réduit au minimum - on donne des tickets restaurant ou de transport- ! On peut aller jusqu’à recherche des établissements privés disponibles pour accueillir ces jeunes quitte à faire très attention aux sollicitations du juge qui pourrait signaler une situation très préoccupante. Auquel cas on rechercherait une place en foyer. La difficulté serait que le juge ordonne un placement à la PJJ et que celle-ci ne puisse ou ne veuille l’exécuter. On aurait alors deux administrations, l’une locale, l’autre d’Etat qui se défausseraient de leurs responsabilités et violeraient une décision de justice.

Soit mais comment sortir de la crise ?

Le bruit court qu’un amendement à la loi de finances introduirait une péréquation financière entre les départements. Est-ce de nature à satisfaire les conseils généraux ? Quid de l’engagement financier de l’Etat comme le recommandait le rapport de la sénatrice Debré en 2010 ?

Quelques réflexions simples s’imposent :

1 D’évidence tous ces jeunes ne sont pas mineurs : mais la plupart le sont. Nombre sont instrumentalisés par des adultes et des passeurs. Certes, mais ce sont des enfants. Luttons contre les filières, menons la politique de coopération qui s’impose, mais ici et maintenant il y a des enfants en danger.

2 Tous ces jeunes ne sont pas dans un danger vital et immédiat, mais comment qualifier le fait de laisser dormir dans la rue des personnes que nous tenons pour des enfants ? Et la difficulté ne se pose pas qu’en Seine Saint Denis.

3 Le problème n’est pas celui de la collectivité territoriale où se trouve le jeune, mais celui de la France pour le compte de laquelle les collectivités locales interviennent. Ces enfants ne sont pas des enfants de Seine Saint-Denis mais de France

4° La convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 veut que la France veille à protéger les enfants sans toit, sans revenus et privés d’autorité parentale pour les protéger. Elle le fait elle-même ou organise cette protection. Que ne fait-elle pas pour répondre à ses engagements?

5 L’Etat qui ne conteste pas ses responsabilités, mais les relative, a désigné le ministre de la justice pour coordonner la manœuvre. Il est le ministère de la loi, il a une entrée sociale à travers les tribunaux pour enfants et la PJJ ; il interviendra ensuite pour organiser le statut juridique de ces enfants à travers les juges aux affaires familiales qui manieront la délégation de tutelle ou d’autorité parentale. Que le ministère de la justice joue son rôle de coordonnateur. Pour cela il lui faut gagner en crédibilité. Qu’elle le veuille ou ne le veuille pas, la justice a vocation, subsidiaire certes, mais vocation à s’occuper des enfants en danger, nés ici ou pas. Quelle paie déjà son écot !

6 Sans doute devant l‘ampleur du problème conviendrait-il d’adopter rapidement la même démarche qu’en 1983-1984 pour les enfants des boats poeple : une coordination nationale d’Etat, un budget spécifique et un appui apporté par les collectivités locales et les associations.

Il est temps que les choses bougent. Après quinze jours, notre marge de manœuvre est réduite quasiment à rien, magistrats et travailleurs sociaux de justice sommes exsangues. Je relèverai que si la pression demeurait nous serions sur la base de 1800 situations l’an, soit un millier d’accueil sur l’année, et derrière les dossiers il y a des personnes.

On peut aussi attendre un drame. Certains joueraient-ils ce jeu ? Il est temps que l’Etat prenne des initiatives. Il est temps que le réseau associatif se coordonne pour faire pression sur les pouvoirs publics, et déjà pour aider ces enfants par-delà l’incantation. Il est temps que les médias et les politiques se mobilisent

Le silence est assourdissant !

Au passage on nous avait dit avant l’état que le remplacement du Défenseur des enfants par un Défenseur des droits garantirait une meilleure prise en compte des droits des enfants en France ! En 15 jours le Défenseur des droits et son adjoint aux droits des enfants se sont transformés en Arlésiennes. L’ancien Défenseur des enfants - Mme Brisset ou Mme Versini - se serait déplacé et aurait pris le dossier à bras le corps … au nom de la France, de ses valeurs, de ses engagements et de ses lois.

18/9/2911

Source : Le Monde

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