mardi 26 novembre 2024 23:11

Quand Fellag joue le prof de l'intégration

Dans le dernier long-métrage de Philippe Falardeau, un immigré algérien, interprété par Fellag, débarque dans une classe de primaire québécoise.

Dans une école de Montréal, les rires des enfants ont laissé place aux pleurs. La neige continue de tomber, mais dans la cour, les écoliers ne jouent plus. Traumatisés par la perte tragique de leur institutrice, les élèves tentent de comprendre une mort qui leur échappe.

Dans cette ambiance tendue, un nouvel arrivant algérien propose ses services de remplaçant. Alors que les candidats ne se bousculent pas à la porte de cet établissement, Bachir Lazhar réussit à convaincre la directrice de lui laisser sa chance. Dès les premières minutes, le professeur maghrébin est touché par la détresse de ces enfants.

Un fossé existe pourtant entre cet homme originaire d’Alger et ces jeunes Québécois. Habitué au système d’éducation à la française, il commence par leur faire écrire des dictées tirées de Peau de Chagrin d’Honoré Balzac. «Du français de Chinois», s’exclame l’un des écoliers, étonné par ce niveau de langue. Influencé par la vieille école, Monsieur Lazhar ne comprend pas les tables qui ne sont plus alignées en rang bien droit, les nouveaux systèmes de notation ou encore les règles de discipline beaucoup plus laxistes. L’enseignant partage cependant une même douleur. Pendant que les élèves apprennent à le connaître, ils ignorent que l’Algérien a perdu toute sa famille, qu’il a fui son pays en raison du terrorisme et qu’il est menacé d’expulsion.

Les difficultés d’intégration

Tirée d’une pièce de théâtre d’Evelyne de la Chenelière, cette rencontre entre deux mondes n’a pas laissé insensible le réalisateur Philippe Falardeau:

«C’est un personnage plein d’humanité, digne. Il ne déverse pas sur les autres son histoire personnelle. Il est là pour aider les enfants. C’est cela qui m’a touché».

Auteur du très remarqué Congorama en 2006 présenté notamment au Festival de Cannes, le metteur en scène avait depuis longtemps en tête de parler du thème de l’immigration:

«J’ai tenté des sujets de documentaire, mais cela ne fonctionnait pas, j’étais a l’affût, mais je ne voulais pas que mon film soit didactique, un discours sur l’immigration, une représentation d’un système qui refuse l’immigration, je voulais que ce soit plus en nuance et ce personnage là me l’apportait».

Son nouveau long-métrage reste cependant engagé. En mettant en lumière, les difficultés des migrants pour trouver un travail et pour obtenir des papiers, il montre les limites de l’intégration:

«Les Québécois prennent pour acquis qu’ils sont accueillants, mais ils ne se rendent pas compte qu’on peut galérer. C’est le système qui rend cela difficile. Combien d’immigrants doivent abandonner leur profession car leur diplôme n’est pas reconnu ici, pour des raisons, à mon avis, fallacieuses. Il faut dire également que les immigrants préfèrent aussi des fois se ghettoïser. C’est difficile des deux côtés».

Avec ce personnage originaire de l’Algérie, le film montre aussi aux spectateurs que la violence est encore bien présente dans le pays maghrébin. Devant la commission de l’immigration, Bachir Lazhar, qui doit justifier de son statut de réfugié, affirme d’ailleurs: «Rien n’est jamais normal en Algérie». Philippe Falardeau, le réalisateur du film, l’a d’ailleurs vu de ses propres yeux, lorsqu’il est allé faire des recherches sur place:

«En Algérie, on a l’impression que tout est fini, mais quand j’étais là bas, il y a six bombes qui ont explosé dans le pays. Ce n’est pas fini. Les Algériens essayaient de me faire croire que tout allait bien, mais tout ne va pas bien».

Aller à la rencontre de l’autre

Pour incarner au mieux les souffrances de ce peuple et ce déracinement, le réalisateur québécois a choisi de faire appel à Fellag. Le populaire comédien et humoriste algérien se rapproche du personnage de Bachir Lazhar par son âge et sa nationalité, mais aussi par un passé commun. Mohamed Saïd Fellag a également été victime du terrorisme. Menacé de mort par les islamistes, une bombe explose lors de l’un de ses spectacles en 1995. Il s’exile alors à Paris. Ces souvenirs gravés à jamais en lui l’ont aidé pour interpréter ce rôle.

«Chaque degré de traumatisme accentue encore plus les provisions émotionnelles que l’on a au moment de jouer une scène. On fait appel cette banque de données qu’on a vécu pour être au plus près de ce que raconte le personnage».

Même s’il n’aime pas revenir sur cet épisode dramatique de sa vie, Fellag affirme toutefois que ce film n’a pas ravivé en lui de vieilles cicatrices.

«Ce n’est jamais douloureux car cela est en nous. Cela vit tout le temps, je fais mon travail d’acteur. Je ne suis pas à la merci d’une émotion première, mais il faut aller au delà de sa propre émotion pour la mettre au service de son personnage », explique l’acteur avec cette voix douce et posée qui lui est si caractéristique.

L’artiste, qui vit aujourd’hui en France partage aussi avec Bachir Lazhar, cette immigration au Québec. À la fin des années 1970, il a vécu pendant un an et demi à Montréal. Alors jeune comédien, il se souvient du froid glacial, des chutes dans les escaliers gelés et de sa découverte du théâtre québécois. Mais contrairement au héros du film, son exil n’était pas à cette époque motivé par la peur:

«J’étais un peu plus ludique, un peu plus aventureux, à la recherche de quelque chose de plus personnel. Ce n’était pas une fuite, un arrachement total. J’avais le choix entre plusieurs pays, j’étais à la rencontre du monde. Il y avait un jeu chez moi, une grande curiosité. J’étais un jeune homme. J’allais vers l’autre».

Après toutes ces années passées à l’étranger, Fellag n’a finalement qu’un seul conseil à donner à tous les Monsieur Lazhar de la terre:

«On arrive dans une zone culturelle totalement vierge, au niveau de l’émotion, des sensations, de langue des autres. C’est à nous aussi d’aller à la conquête, d’aller à la recherche, de se faire un chemin à la machette de la langue. On ne peut pas aller vers l’autre pour vivre ensuite enfermé dans soi. Ce serait suicidaire»

Le film sortira en France courant 2012. Lors de la remise des Oscars, il représentera le Canada pour le prix du meilleur film en langue étrangère.

1/11/2011, Stéphanie Trouillard

Source : State Afrique

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