Hormis la CDU, les formations soutenant la politique de la chancelière allemande sur les migrants ont obtenu de bons résultats dans les Länder qui votaient dimanche. L’extrême droite fait une percée.
Les trois scrutins de dimanche (Bade-Wurtemberg dans le sud-ouest du pays, Rhénanie-Palatinat dans l’ouest et Saxe-Anhalt en ex-RDA) constituaient le premier test électoral depuis qu’Angela Merkel a décidé, le 5 septembre, d’ouvrir les frontières aux réfugiés bloqués en Hongrie. Les électeurs d’outre-Rhin n’ont pas désavoué la politique de la chancelière, même si l’extrême droite a fait une percée, notamment en Saxe-Anhalt.
S’agit-il d’un vote sanction sur l’accueil des réfugiés ?
«La question des réfugiés a dominé la campagne, tout comme le fait que nous n’ayons pas encore trouvé de solution satisfaisante et durable à cette crise», a concédé lundi Angela Merkel dans une conférence de presse. Mais se sentant «confortée» par le scrutin, elle assure qu’il «n’y aura pas d’inflexion» à la politique suivie par son gouvernement et que la solution à la crise «passe par une solution négociée avec la Turquie». De fait, seul un parti - les populistes de l’AfD - a fait clairement campagne contre l’accueil des réfugiés. Les partis traditionnels ont soit soutenu la politique promigrants d’Angela Merkel (SPD, Verts), soit réclamé une inflexion de cette politique sans la condamner ouvertement (aile droite de la CDU).
Le score obtenu par l’AfD dans les trois régions concernées par le vote (24,2 % en Saxe-Anhalt, 15,1 % dans le Bade-Wurtemberg et 12,6 % en Rhénanie-Palatinat) révèle incontestablement une tendance au vote sanction antimigrants. Dans les trois régions, l’AfD a même fait mieux que ce que prédisaient les sondages. Par ailleurs, le revers subi par la CDU (- 3,4 points en Rhénanie-Palatinat, - 2,7 en Saxe-Anhalt) souligne l’insatisfaction d’une partie du camp conservateur. Mais le vote de dimanche montre aussi les limites du vote sanction : dans les trois régions, le soutien aux partis soutenant Merkel l’emporte largement sur la contestation. Dans le Bade-Wurtemberg, les Verts ont même été renforcés grâce à la politique d’accueil et d’intégration des migrants qu’ils ont mis en avant à la tête du Land.
Quelles sont les conséquences pour Angela Merkel ?
«Régionales, la victoire d’Angela Merkel», titre un éditorial du magazine Der Spiegel. De fait, la chancelière a réussi un coup de maître dimanche. Son parti, la CDU, sort certes affaibli du scrutin mais sa politique est confortée. «Chaque voix récoltée par la CDU n’était pas forcément une voix de soutien à Angela Merkel, constate le magazine. Mais chaque voix donnée aux Verts ou au SPD était un plébiscite pour la chancelière.» De fait, au Bundestag, Angela Merkel a réuni autour d’elle et de sa ligne proréfugiés une confortable majorité CDU-SPD-Verts, qui la met à l’abri de toute velléité contestataire. «Comme Gerhard Schröder avant elle, Angela Merkel est la bonne personne dans le mauvais parti», estime le Spiegel dans un éditorial. Angela Merkel sort d’autant plus renforcée qu’une challenger potentielle, Julia Klöckner, qualifiée d’«étoile montante de la CDU» en début d’année, n’a pas réussi son pari : pour la seconde fois consécutive, cette jeune ambitieuse a échoué à arracher la Rhénanie-Palatinat à l’escarcelle du SPD. Julia Klöckner est contestée au sein du parti pour avoir osé dévier de la ligne imposée par la chancelière en réclamant des quotas pour les nouveaux réfugiés. La direction du parti a maintenant beau jeu d’assurer que l’électorat a sanctionné ces écarts de conduite. «Angela Merkel n’a aucun rival sérieux au sein de la CDU», rappelle le politologue Gero Neugebauer, de l’Université libre de Berlin.
Qui sont les électeurs de l’AfD ?
L’électeur type de Frauke Petry, la patronne du parti, est ouvrier ou chômeur, âgé de 25 à 44 ans et masculin : 29 % des électeurs mâles des trois régions ont donné leur voix à l’AfD, contre 19 % des femmes. L’AfD a profité massivement du regain de mobilisation électorale. Dans les trois régions, le camp des abstentionnistes a fortement reculé dimanche. En Saxe-Anhalt, on a même enregistré 10 % de votants de plus que lors du précédent scrutin en 2011 : 104 000 ex-abstentionnistes y ont donné leur voix au parti populiste, selon l’institut Infratest Dimap. Dans le Bade-Wurtemberg, beaucoup plus peuplé, 207 000 anciens non-votants ont opté pour l’AfD. «C’est essentiellement la question des réfugiés qui a incité les abstentionnistes à se mobiliser», constate l’institut. «L’AfD a précisément mobilisé la frange de tous ceux qui sont devenus sans parti au sein du camp conservateur, car ils ne peuvent plus s’identifier avec la CDU, souligne le politologue Werner Patzelt. C’est pourquoi l’appel à se rendre aux urnes pour affaiblir l’extrême droite n’a pas marché : beaucoup de sympathisants de la droite radicale qui ne votaient plus ont enfin retrouvé une famille politique en l’AfD !» Pour 64 % des électeurs de l’AfD, ce vote s’inscrivait dans une démarche contestataire ; ils disent avoir voté par insatisfaction envers le tendance promigrants de l’establishment politique. Seuls 27 % des électeurs de l’AfD disent «adhérer» au discours des populistes. «L’AfD mobilise les déçus des partis traditionnels, mais n’a pas véritablement de partisans», souligne Infratest.
C’est d’autant plus difficile que le jeune parti - né en 2013 pour lutter contre les plans de sauvetage de l’euro et reconverti dans l’antimigrants - est fortement divisé et n’a même pas de programme électoral. Un congrès est prévu à cet effet fin mars-début avril. L’aile dure de l’AfD, renforcée par le scrutin de dimanche, y sera en position de force. Deux figures, opposées à Frauke Petry, incarnent ce courant radical. André Poggenburg, 41 ans, chef du parti en Saxe-Anhalt, qui peut s’enorgueillir d’avoir tenu ses objectifs. Björn Höcke, chef du parti et du groupe parlementaire en Thuringe voisine, a massivement soutenu son camarade Poggenburg à coup de petites phrases, parlant de «différence de stratégie de reproduction entre les Européens et les Africains». Ils sont bien décidés à tirer à eux la couverture, au détriment de Frauke Petry, jugée trop modérée. Par ailleurs, cette dernière, pour qui Marine Le Pen est «socialiste» du fait de son soutien aux entreprises d’Etat, est favorable à un cours libéral en économie.
L’Allemagne est-elle affaiblie à Bruxelles ?
«C’est la fin de l’exception allemande : désormais, comme dans les autres pays européens, il y a une force populiste qui pèsera dans le débat politique outre-Rhin, analyse un diplomate européen. Et comme ailleurs, la contestation des partis de gouvernement se fait plutôt à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche.»Seules exceptions, la Grèce, le Portugal et l’Espagne, qui ont connu des dictatures fascistes jusqu’au milieu des années 70. Pour autant, «c’est après que l’Allemagne a accueilli un million de réfugiés que l’AfD réussit sa percée. Et encore, il réalise des scores bien inférieurs à ceux du FN en France, un pays qui n’a accueilli personne», tempère Sylvie Goulard, députée européenne. Guy Verhofstadt, patron du groupe libéral au Parlement européen, insiste sur le fait que «les Verts et le FDP [libéraux-démocrates, ndlr] nouvelle mouture, qui proposent des solutions européennes à la crise des réfugiés, réalisent des scores remarquables». Pour lui, ces élections marquent une nouvelle étape de l’érosion des anciennes forces politiques en Europe : «Les citoyens ne veulent plus de demi-mesures qui ne satisfont personne.»Personne n’attend un changement de la politique européenne de la chancelière. «Elle a pris son virage sur le droit d’asile avant ces élections, lors du sommet européen du 7 mars, lorsqu’elle a proposé de renvoyer tous les réfugiés qui arriveront en Grèce en Turquie», rappelle un diplomate, soulignant néanmoins qu’«elle sera sans doute moins critique à l’égard de l’Autriche et des pays des Balkans qui ont coupé la route des réfugiés, ce qui a nettement réduit les arrivées en Allemagne. Car, au fond, ce sont eux qui ont pris les seules mesures efficaces pour interrompre un flux qui a permis la percée de l’AfD».
15 mars 2016, Nathalie Versieux et Jean Quatremer
Source : Libération