jeudi 28 novembre 2024 05:44

Renégocier Schengen serait plus compliqué qu’il n’y paraît

Depuis 2012, c’est devenu l’un des chevaux de bataille de Nicolas Sarkozy en matière d’immigration : il faudrait réformer les accords de Schengen, qui régulent la libre circulation des personnes au sein de 26 pays européens.

Le président du parti Les Républicains (LR) ne cesse de marteler que cet espace imaginé en 1985 ne « fonctionne plus », et qu’il faut le remplacer par un « Schengen 2 », plus efficace pour endiguer l’immigration illégale et gérer les flux de demandeurs d’asile. Une proposition plus difficile à appliquer qu’il n’y paraît.

1. Que propose Nicolas Sarkozy ?

Jamais exposée dans le détail, l’idée de l’ex-chef de l’Etat peut être reconstituée en rassemblant ses prises de parole depuis la campagne présidentielle de 2012 jusqu’à son entretien dans Le Figaro en septembre 2015, en passant par son intervention lors de la campagne pour les élections européennes de 2014.

Il souhaite tout d’abord suspendre « provisoirement la libre circulation des ressortissants non européens au sein de Schengen », ce qui suppose de rétablir des contrôles aux frontières intérieures afin de séparer les personnes en règle des clandestins.

Par la suite, Nicolas Sarkozy souhaite négocier avec les autres Européens un « Schengen 2 » avec des règles plus strictes :

Les Etats ne pourraient y adhérer qu’après avoir « préalablement adopté une même politique d’intégration » (c’est-à-dire des règles communes pour l’accès des immigrés au marché du travail, à la santé, à l’éducation, etc.) et d’immigration (des critères harmonisés pour accepter ou non un immigré ou un réfugié).

Un système de sanctions permettrait de suspendre ou d’exclure un Etat qui serait « défaillant » dans le contrôle de ses frontières – c’est-à-dire qui laisse pénétrer des clandestins dans l’espace Schengen.

Un mécanisme qui interdise à « un étranger de pénétrer dans l’espace Schengen, puis une fois cette formalité accomplie de choisir le pays où les prestations sociales sont les plus généreuses ».

2. Suspendre provisoirement Schengen, c’est possible

« Suspendre Schengen » revient à rétablir des contrôles aux frontières intérieures, qui sont théoriquement interdits par le traité européen. Les Etats-membres ont toutefois le droit de le faire à titre provisoire et dans des circonstances exceptionnelles, grâce à certaines clauses de sauvegarde. C’est ce qu’on fait ces derniers jours l’Allemagne, l’Autriche ou la Slovaquie.

Cette exception à la libre circulation ne peut toutefois durer plus de vingt-quatre mois, doit être justifiée par une « menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure » et être proportionnelle à la gravité de la situation (fermer toutes les frontières n’est pas nécessaire si le problème vient d’un seul pays limitrophe, par exemple). Si ces critères ne sont pas respectés, la Commission européenne peut engager une procédure d’infraction contre l’Etat qui a rétabli ses frontières, et la forcer à les rouvrir, et lui infligeant éventuellement une amende.

C’est ce qui avait failli arriver au Danemark quand le gouvernement libéral avait rétabli unilatéralement les contrôles sur ses frontières avec l’Allemagne et la Suède, en 2011, pour se protéger de la « criminalité transfrontalière ». L’annulation de la mesure par le gouvernement social-démocrate arrivé au pouvoir quelques mois plus tard avait mis un terme à la procédure.

3. Instaurer un « Schengen 2 », c’est plus compliqué

La plupart des idées portées par Nicolas Sarkozy pour réformer Schengen ne pourraient être mises en œuvre sans une renégociation des traités qui régissent cet espace. Un processus très compliqué, qui nécessite un accord des Vingt-Huit puis une ratification de tous les pays membres (par un vote du Parlement ou un référendum). Or, la mauvaise expérience du traité de Lisbonne (très difficilement ratifié en 2009 après un « revote » des Irlandais) a refroidi les ardeurs des Européens les plus convaincus.

Malheureusement pour Nicolas Sarkozy, il ne serait pas possible de faire passer ces modifications institutionnelles par la voie, plus commode, d’une directive européenne, comme lors de la précédente réforme, en 2013. « La possibilité d’exclure un Etat-membre ou de modifier la liste des membres doit forcément passer par une révision du traité », confirme Yves Pascouau, chercheur à l’Institut Jacques Delors et directeur de l’European Policy Centre.

De même, mettre en place une politique européenne de l’intégration, comme l’appelle de ses vœux le président de LR, n’est pas vraiment possible en l’état actuel des traités. « L’intégration reste une compétence nationale : l’Union européenne peut seulement  coordonner les politiques d’intégration des Vingt-Huit, mais en aucun cas imposer la sienne », explique M. Pascouau. Impossible donc, par exemple, d’harmoniser les prestations sociales versées aux demandeurs d’asile dans les différents pays d’Europe, pour qu’ils évitent de choisir un pays d’accueil en fonction de ce critère.

Ce problème remonte à la signature des accords de Schengen, en 1985, comme l’explique Yves Pascouau : « Pour aller plus vite, François Mitterrand et Helmut Kohl ont remis à plus tard la mise en place d’une politique commune d’immigration et d’intégration. Celle-ci n’a finalement jamais vu le jour, car les Etats n’ont jamais voulu s’attaquer à ce problème. » Un « oubli » que veut aujourd’hui combler Nicolas Sarkozy.

16 sept 2015, Maxime Vaudano

Source : Le Monde

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