Dans les conclusions de leur sommet avec Ankara, les dirigeants de l’Union européenne annoncent un renvoi systématique des migrants en Turquie, quitte à se mettre en porte-à-faux avec leurs obligations internationales envers les demandeurs d’asile.
Après d’intenses palabres qui se sont poursuivies dans la nuit, à Bruxelles, mardi 8 mars, les dirigeants européens et le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, ont arrêté une stratégie censée enrayer le mouvement d’arrivées de demandeurs d’asile sur les îles grecques depuis la Turquie (au nombre de 2 000 chaque jour actuellement). Censé dissuader les trafiquants qui vendent à prix d’or de mortelles traversées de la mer Égée, l’un des maillons essentiels de ce plan turco-européen se résume ainsi : renvoyer à Ankara les migrants arrivés de Turquie en Grèce.
Sous quelles autorités se dérouleront ces renvois ? Grecques, turques, multiples ? De quelle manière ? Par bateau, par avion ? Quel sera, en Turquie, le statut de ces « refusés » ? Outre qu’elle soulève de nombreuses questions pratiques, cette disposition suscite l’inquiétude du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui, dans un communiqué, s’est alarmé d’un « arrangement qui implique un retour général des personnes d’un pays à l’autre » et ne tienne pas suffisamment compte des « obligations internationales ».
Confusion sur les personnes concernées
Les conclusions du sommet turco-européen ne permettent pas de dire quels exilés sont précisément concernés par ces retours systématiques en Turquie. Elles sèment la confusion, mentionnant tour à tour « tous les migrants qui ne nécessitent pas de protection internationale », « tous les nouveaux migrants irréguliers » et les Syriens.
Dans le cas des premiers, encore faut-il évaluer leur situation avant de conclure qu’ils ne « nécessitent pas de protection internationale ». Comment cette évaluation peut-elle se dérouler ? Les « hotspots », ces centres de « tri » entre réfugiés et migrants économiques que les Européens sont en train de mettre en place en Grèce et en Italie, sont censés permettre un tel travail. Mais ils en sont encore à leurs balbutiements. « Il est clair que pour l’instant, dans les hotspots, personne ne peut faire un examen individualisé d’une demande d’asile, car cela implique un minimum de temps », indique Claudia Charles, juriste au Groupement d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Encore faut-il, aussi, que ces exilés déposent une demande d’asile.
Le renvoi de « tous les nouveaux migrants irréguliers » soulève quant à lui un problème de conformité avec la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, signée par les Vingt-Huit et qui constitue la base du droit international sur le sujet. Ne prévoyant pas de sanction en cas d’infraction, elle ne permet toutefois pas de renvoyer tout un chacun dans un autre pays au gré de la volonté des États. Elle impose à ses signataires d’examiner les demandes d’asile qui leur sont soumises, quand bien même le demandeur n’est pas parvenu légalement sur le territoire.
Le statut de réfugié ne dépend pas de la nationalité
Un État ne peut par ailleurs décider de n’accepter les ressortissants d’un seul pays - les Syriens en l’occurrence. « Le statut de réfugié n’est pas accordé en fonction de la nationalité mais de la persécution, rappelle William Spindler, porte-parole du HCR. Quel que soit votre pays d’origine, vous pouvez théoriquement être réfugié. »
Une autre inquiétude du HCR tient au sort des migrants renvoyés en Turquie. Y seront-ils protégés du « refoulement », c’est-à-dire de l’expulsion dans un pays où ils courent des risquent pour leur vie ? La Turquie applique une interprétation toute personnelle et fort restrictive de la Convention de Genève, n’accordant le statut de réfugiés qu’aux seuls Européens. Les quelque 3 millions de Syriens qui vivent dans le pays ne disposent pour le moment que d’un statut temporaire.
Autant de points déterminants à préciser d’ici à la prochaine rencontre des dirigeants européens sur le sujet, les 17 et 18 mars prochains, à Bruxelles.
08/03/2016 , Marianne Meunier
Source : La Croix