mercredi 27 novembre 2024 01:40

Réserves de changes: La cote d’alerte

Les avoirs extérieurs nets couvrent 5 mois d’importations en 2011 . Le tourisme et les Marocains résidant à l’étranger ne compensent plus le déficit du compte courant

Pour la quatrième année consécutive, le compte courant sera déficitaire, 5% du produit intérieur brut (PIB) contre 4,3% en 2010

EN 2005, les avoirs extérieurs nets représentaient 11 mois d’importations, le plus haut niveau jamais atteint, bien plus élevé qu’à l’époque où les réserves de changes avaient battu les records en 2007 en s’établissant à 208 milliards de dirhams. Au terme de l’exercice qui va s’achever (2011), les avoirs extérieurs bruts ne couvriraient plus «que» l’équivalent de 5 mois d’achats des biens et services à l’étranger, tout en demeurant à «un niveau confortable», selon les conclusions de la dernière mission d’information du Fonds monétaire internationale (FMI). C’est 0,9 point de moins que l’année dernière.
Confortable certes, mais pas forcément rassurant, du moins si l’on analyse les raisons structurelles qui concourent à la détérioration des comptes extérieurs.

Pour la quatrième année consécutive, le compte courant sera déficitaire, 5% du produit intérieur brut (PIB) contre 4,3% en 2010. Malgré la reprise des exportations en hausse de 17,6% à fin septembre et une bonne tenue des transferts des MRE (+8,2%) et des recettes touristiques de plus de 5%, le solde de la balance courante poursuit son glissement. La bascule est intervenue à partir de 2008 (voir infographie) après sept années ininterrompues d’excédent, une période qui correspond aussi à la décennie des grandes opérations de privatisation de quelques joyaux du portefeuille public et la forte reprise des investissements directs étrangers.

La persistance du déficit des comptes courants inquiète aujourd’hui au plus haut point les autorités monétaires et le ministère des Finances. L’inquiétude est d’autant plus grande que ni les recettes du tourisme ni les transferts des MRE, les deux principales sources qui alimentent les réserves en devises du pays, ne suffisent plus à couvrir le trou des transactions courantes. Pour l’instant, impossible de compter sur le moteur de l’export, malgré une excellente performance des phosphates et dérivés. Malgré une amélioration du taux de couverture (50,2% en 2010 contre 42,8 en 2009), la balance commerciale est aujourd’hui le grand malade des comptes extérieurs. Nos échanges commerciaux avec le reste du monde sont déficitaires depuis… 1990, bien avant l’entrée en application des ALE avec l’Europe et la Turquie qui ont été des lubrifiants du moteur de la croissance des importations. En vingt ans, jamais la balance commerciale ne s’est équilibrée. Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. Au terme des 9 premiers mois de l’année en cours, la balance commerciale affiche un déficit de 138,9 milliards de dirhams contre 148 milliards en 2010. Il devrait se situer dans la même zone à la fin de l’année.

La croissance de la demande des ménages, la déprotection douanière avec l’Europe et les accords de libre-échange qui s’en sont suivis (Etats-Unis, Turquie, l’accord Quadra) ont permis de propulser l’import à des niveaux exceptionnels. En moyenne, le Maroc importe pour près de 30 milliards de dirhams par mois au cours de ces trois dernières années. L’embrasement des prix du pétrole (les produits pétroliers représentent la moitié des importations) n’explique pas tout. En dehors de l’OCP, l’exportation est encore cristallisée sur une poignée de produits à faible valeur ajoutée et il n’y a pas encore assez d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) capables de se projeter sur des marchés extérieurs, celles-là mêmes qui forment les bataillons à l’export des grandes économies exportatrices. En attendant que les plans sectoriels (Emergence, Maroc vert) atteignent leur pleine capacité, la situation ne devrait guère évoluer. La pression sur les réserves de changes ira crescendo avec l’explosion de l’import.
La demande des ménages a été un des puissants moteurs de la croissance des importations. Entre 2000 et 2010, le PIB a été multiplié par deux, entraînant au passage l’extension des classes moyennes urbaines avides de biens de consommation courante qui ne sont pas fabriqués au Maroc. De la téléphonie mobile à l’électroménager en passant par l’habillement. C’est là qu’il faut aller chercher l’explication de l’explosion des franchises internationales sur le marché local.

Par ailleurs, durant les années 2000, le déficit commercial tenait en partie à l’effort d’équipement et d’investissement des agents économiques. En tant que tel, il n’était pas mauvais car il préparait l’avenir à travers l’investissement. Et surtout, les flux des IDE, bon an mal an, se maintenaient tout comme les transferts des fonds des Marocains du monde et les rentrées du tourisme. Pour les investissements directs étrangers, le bilan de cette année restera moyen, plombé par le printemps arabe et la crise économique en Europe. A fin septembre 2011, ils étaient en recul de 15,7%, à 21,4 milliards de dirhams.

En attendant, il faut continuer à rémunérer le stock des IDE existant et qui s’établissait à 334,69 milliards de dirhams en 2009 (dernières évaluations disponibles). Les dividendes, les jetons de présence des administrateurs, l’assistance technique, et le cas échéant, les désinvestissements, tous les revenus générés par les IDE sont réglés en devises et libres de transfert. C’est un engagement irréversible de la part des pouvoirs publics auxquels il faut reconnaître le mérite de continuer à lever des restrictions sur les opérations touchant les particuliers malgré un contexte difficile (voir L’Economiste du 31 octobre 2011). En parallèle, la vigilance s’est renforcée contre la sous-facturation et la triche aux règles d’origine à travers des contrôles conjoints impliquant la Douane, le Fisc et l’Office des changes. Le premier tableau de chasse a permis de récupérer 400 millions de dirhams en devises. L’Office des changes tient par ailleurs une épée de Damoclès au-dessus de tous ceux qui seraient tentés par des acrobaties: au contraire des impôts où la prescription est fixée à quatre ans, la fraude à la réglementation est imprescriptible. Aux dernières nouvelles, un projet de loi devrait modifier cette «anomalie » dans les prochains mois.
Le déficit désormais structurel des comptes courants tombe d’autant plus mal que le budget de l’Etat doit digérer la hausse des salaires décidée au printemps dernier et affronter le renchérissement des cours mondiaux des produits alimentaires et pétroliers, malgré une détente de ces derniers mois. La hantise des autorités est de pouvoir se retrouver durablement face à des déficits jumeaux qu’il faudra couvrir par l’endettement. A terme, cette situation devrait aussi reposer la question toujours taboue de la surévaluation du dirham.

L’équation du carré magique

DE l’équation du carré magique des objectifs de la politique économique définie par l’économiste britannique Nicholas Kaldor -«accroître la richesse annuelle de la nation sans que la hausse des prix ne reprenne par l’inflation ce que l’on a gagné par le travail et sans dépendre d’une puissance étrangère au-delà de la dépendance de celle-ci à l’égard de notre économie»- une variable (échanges extérieurs) est en grande difficulté. Sur la croissance, la maîtrise de l’inflation et l’emploi, le tableau n’est pas si mal. En revanche, c’est sur l’équilibre des échanges extérieurs, dernier composant du quarté de la politique économique, que l’on est en difficulté.

9/11/2011, Abashi SHAMAMBA

Source : L’Economiste

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