Ils vivent et travaillent en France depuis plusieurs années. Leurs enfants sont scolarisés à Roubaix. Certains payent même des impôts. Pour cela, les résidents étrangers rencontrés estiment avoir le droit de choisir ce qui se passe dans leur ville. Pourtant aucun ne votera aux municipales.
« C’est lamentable de dire que pour un bout de papier, qui ne retranscrit ni mes idées ni ma citoyenneté, je ne peux pas voter », s’emporte Coumba, une Sénégalaise. Cette résidente étrangère, âgée de 41 ans, vit en France depuis l’âge de huit ans. Elle travaille depuis treize ans dans une compagnie d’assurance et verse sa part d’impôt à la municipalité.
« Mon père était Français de souche (car né avant l’indépendance du Sénégal) et on nous dit qu’on n’est pas dans notre pays », poursuit-elle. Coumba n’a jamais réussi à réunir toutes les pièces pour finaliser son dossier de naturalisation. D’abord à cause d’un conflit l’opposant à son père. Aussi parce qu’elle dit ne pas avoir supporté les rapports avec la préfecture. « Ils ne nous respectent pas. » Alors, elle n’a jamais été au bout des démarches.
Combien sont-ils dans son cas ? Pas évident de dénombrer les résidents étrangers à Roubaix, encore moins de cibler les potentiels électeurs. Selon des chiffres de l’Insee datant de 2010, les résidents étrangers roubaisiens seraient plus de 17 000, toutes catégories d’âges confondues.
Le passé colonial
Les plus âgés sont nés dans des colonies françaises. Ce qui permet d’obtenir plus facilement devenir Français. Souleymane est un Sénégalais, né presque vingt ans avant l’indépendance de son pays, actée en 1960. Il a gardé sa nationalité d’origine. « Moi je voulais rentrer vivre au Sénégal », confie-t-il en tripotant son habit traditionnel. L’arrivée des enfants en a décidé autrement. À la présidentielle, son fils Mohamed, 25 ans, a voté François Hollande. L’actuel président avait promis d’ouvrir le droit de vote des étrangers aux élections locales. « C’était une opportunité pour mes parents. Une récompense pour eux. » Eux qui ont élevé cinq enfants, tous diplômés, en France. Une fratrie qui vote.
Amel, 36 ans, et Sarah, 43 ans, se sont également heurtées aux lourdeurs administratives en matière d’immigration. Elles sont algériennes. « Ma fille me demande pourquoi je ne peux pas voter. Je lui réponds que je ne suis pas française. Pourtant, je suis ici depuis treize ans et je me sens française », explique, timide, Amel.
Intégration et citoyenneté
Sarah décrit le même sentiment d’appartenance à la vie roubaisienne. « Je travaille, en CDI. Je fais le marché tous les dimanches. J’ai des amis. » Elle a fui l’Algérie et sa guerre civile. Pourquoi la France ? « J’étais déjà venue rendre visite à ma sœur aînée, en vacances avec mon père. » Sarah s’est sentie libre au pays des droits de l’homme. Libre mais sans la possibilité de s’exprimer. Elle prépare son deuxième dossier de naturalisation. « J’ai hâte de l’avoir et que je sois reconnue. J’irai voter. » En attendant, Sarah et Amel se rendront aux urnes du consulat algérien, pour les élections présidentielles du pays, prévues en avril. Logique.
Un échange entre Coumba et sa meilleure amie interroge. « J’adore la politique et je ne peux pas voter. » - « Moi, je déteste, j’ai le droit de voter mais je ne le fais pas. » Autre paradoxe. « Nous, nous le ferions pour montrer notre intégration », balance Coumba.
Intégration et citoyenneté. Les personnes rencontrées se questionnent. « Qu’est-ce qu’on attend de nous ? Dès l’instant où l’on respecte les lois de la France, c’est bon », considère Coumba. Son mari, Ivoirien d’origine, également né dans une colonie française, bénéficie du droit de vote depuis 2008, année de son obtention de la nationalité française. Pour lui « choisir les dirigeants de la cité, c’est donner son opinion. Aujourd’hui, je me sens autorisé à dire ce que je pense de la politique ». Quant aux autres, suspendus à cette nationalité qui n’est pas octroyée, ils vivent et travaillent en France, dans le silence.
12/03/2014, SHEERAZAD CHEKAIK-CHAILA
Source : nordeclair.fr