Certaines travailleuses domestiques migrantes qui accompagnent leurs employeurs au Royaume-Uni subissent de graves violations de leurs droits, notamment lorsqu'elles sont soumises au travail forcé, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les efforts du gouvernement britannique pour protéger les travailleuses vulnérables sont très insuffisants, et les récents changements apportés à la règlementation en matière d'immigration fragilisent davantage encore la possibilité pour les travailleuses d'échapper aux abus, selon le rapport.
« Il est scandaleux que de nos jours en Grande-Bretagne, des travailleuses domestiques migrantes soient soumises à de choquantes exactions », a déclaré Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe de l'Ouest à Human Rights Watch. « Or, au lieu de protéger ces travailleuses, le système amenuise davantage encore leurs chances d’échapper à ces souffrances.»
Ce rapport de 58 pages, intitulé « Hidden Away: Abuses against Migrant Domestic Workers in the UK » (« À l'abri des regards: Les travailleuses domestiques migrantes sont victimes d'abus au Royaume-Uni »), documente comment de nombreuses travailleuses domestiques se voient confisquer leur passeport, se retrouvent cloitrées dans la maison où elles sont employées, subissent des sévices physiques et psychologiques, sont soumises à des horaires de travail très longs sans jour de repos et pour des salaires très modiques qui, parfois, ne leur sont même pas versés. Le rapport indique également que le gouvernement britannique a failli à ses obligations, aux termes du droit international, de protéger les travailleuses domestiques migrantes et de leur faciliter l’accès à la justice si elles sont maltraitées.
En avril 2012, le Royaume-Uni a aboli le droit pour les travailleuses domestiques migrantes de changer d'employeur une fois arrivées sur le territoire britannique, contre les recommandations du parlement, des organisations non gouvernementales et des experts des Nations Unies. Aux termes de la nouvelle règle des « visas liés » (tied visas), les travailleuses domestiques en provenance de l'étranger ne peuvent pas légalement quitter leur employeur et trouver un nouvel emploi, ce qui signifie que celles qui sont victimes d'abus peuvent se retrouver prises au piège.
« Les travailleuses migrantes qui sont maltraitées aujourd’hui en Grande-Bretagne sont confrontées aujourd’hui à un choix angoissant : soit elles endurent ces terribles exactions, soit elles s'enfuient et deviennent des immigrées sans papiers, situation dans laquelle elles sont bien sûr encore plus vulnérables à de nouvelles exactions et formes d’exploitation », a expliqué Izza Leghtas. « Il est déplorable que ces femmes risquent de se retrouver condamnées ainsi à un cycle d’abus.»
Du fait que les travailleuses domestiques sont employées dans des domiciles privés, la plupart des abus sont commis à huis clos, loin des regards. Certaines d'entre elles ont indiqué à Human Rights Watch qu'elles travaillaient jusqu'à 18 heures par jour pendant des semaines de suite sans journée de repos, qu'elles n'étaient pas nourries correctement et survivaient en consommant des restes de repas, qu'on leur interdisait d'avoir un téléphone portable ou de contacter leur propre famille, et qu'elles ne pouvaient pas sortir du domicile de leur employeur non accompagnées. Certaines n'étaient payées que 100 livres sterling (160 dollars) par mois et parfois, même ce maigre salaire leur était soustrait.
La secrétaire d'État britannique à l'Intérieur, Theresa May, s'emploie actuellement à promouvoir une législation sur l'esclavage moderne, destinée à mettre fin aux graves abus commis dans le monde du travail au Royaume-Uni. En décembre 2013, Theresa May a présenté un projet de loi prévoyant d'accroître les peines maximales encourues pour mise d'autrui en esclavage, en servitude, au travail forcé et pour traite de personnes, qui passeraient de 14 ans de prison à la détention à perpétuité. Mais ce texte ne fait aucune allusion au sort des travailleuses domestiques. Le projet de loi est en cours d'examen par une commission parlementaire, qui doit publier un rapport début avril.
Human Rights Watch appelle instamment le gouvernement à élargir le champ du projet de loi afin d'assurer des protections adéquates aux travailleuses domestiques migrantes, y compris le droit de changer d'employeur. La restauration de ce droit est un élément essentiel pour lutter contre les abus commis contre cette catégorie de travailleurs particulièrement vulnérables, a déclaré Human Rights Watch.
Chaque année, environ 15 000 travailleuses domestiques migrantes arrivent au Royaume-Uni. Parmi celles que Human Rights Watch a interrogées, se trouvaient de nombreuses femmes originaires d'Asie ou d'Afrique qui avaient précédemment travaillé au service de leurs employeurs dans les pays du Golfe persique et avaient déjà subi des exactions de leur part.
Human Rights Watch a documenté des violations graves et généralisées des droits humains commises à l'encontre des travailleuses domestiques migrantes dans la région du Golfe, où les lacunes du droit du travail et le système de parrainage restrictif (kafala) contribuent à l'exploitation. Le système du kafala lie le visa d'une travailleuse domestique à son employeur et donne ainsi aux employeurs un droit de regard sur la possibilité pour la travailleuse domestique de changer d'emploi et, dans certains cas, de quitter le pays. L'abolition par le Royaume-Uni du droit de changer d'employeur risque d'être interprétée par les employeurs venus du Golfe comme un signal qu'ils peuvent continuer à traiter leurs employées au Royaume-Uni comme ils le faisaient sous le système du kafala, a souligné Human Rights Watch.
Human Rights Watch a également constaté que les mesures mises en place par le gouvernement britannique pour empêcher les abus sont inadéquates. Le gouvernement exige que les travailleuses domestiques aient été au service de leur employeur pendant au moins un an avant de venir au Royaume-Uni. Cependant, de nombreuses travailleuses domestiques migrantes interrogées par Human Rights Watch à Londres ont affirmé que leurs employeurs leur avaient fait subir des sévices dans la région du Golfe et les traitaient de manière similaire, et parfois pire, au Royaume-Uni. Les travailleuses domestiques migrantes sont souvent dans l'impossibilité de recourir aux mécanismes de réparation existants dans les pays du Golfe – car leurs employeurs confisquent leurs passeports et leur imposent de sévères restrictions de mouvements – par conséquent, le fait qu'une travailleuse domestique ait été précédemment employée dans une famille à l'étranger ne constitue pas un indicateur fiable qu'elle n'a pas subi de sévices.
Le gouvernement britannique exige également que les termes et conditions de l'emploi soient consignés dans un document écrit et signé par l'employeur et par l'employée, mentionnant notamment l'obligation pour l'employeur de payer le salaire minimum en vigueur au Royaume-Uni. Mais il n'existe aucun mécanisme pour vérifier si ces termes sont respectés.
Aux termes du droit national, européen et international en matière de droits humains, le Royaume-Uni est tenu de protéger les travailleuses domestiques migrantes contre les abus, tant de la part de responsables gouvernementaux que de la part de personnes privées. Mais les récentes restrictions budgétaires dans le domaine de l'assistance juridique privent les victimes qui n'ont pas été reconnues comme de possibles victimes d'activités de traite de personnes d'une assistance juridique gratuite, même s'il s'agit de victimes de travail forcé.
Le gouvernement britannique a également refusé de ratifier un traité international d’une importance historique qui accorde aux travailleuses domestiques les mêmes droits qu'aux autres travailleurs. En juin 2011, le Royaume-Uni a figuré parmi un petit groupe de seulement neuf pays qui n'ont pas voté en faveur de la Convention sur les travailleuses et travailleurs domestiques de l'Organisation internationale du travail (OIT). Human Rights Watch recommande également que le Royaume-Uni s'assure que les travailleuses domestiques soient pleinement informées de leurs droits sur son territoire lorsqu'elles sollicitent un visa, et que les employeurs soient sensibilisés à leur devoir de traiter leurs employées en conformité avec la loi britannique.
« Le gouvernement britannique faillit à son devoir de protéger les travailleuses domestiques migrantes, qui sont trop souvent victimes d'horribles exactions à l'abri des regards », a conclu Izza Leghtas. « S'il souhaite réellement mettre fin à ce qu'il qualifie lui-même d’esclavage moderne, le gouvernement devrait reconnaitre combien ces travailleuses sont vulnérables et leur fournir la protection qu'elles méritent.»
31/3/2014
Source : hrw.org