mercredi 27 novembre 2024 00:27

Schengen: Sarkozy est-il devenu anti-libéral?

Bruxelles, suivant une proposition française, veut faciliter la reprise des contrôles aux frontières intérieures. Après nous avoir vendu les miracles de la libre concurrence, l’Europe choisit le repli sur soi.

Les différends entre la France et l’Italie avaient ouvert le débat. Face à la crise migratoire de Lampedusa, le traité de Schengen mettant fin aux contrôles aux frontières intérieures de l’Europe ne paraissait plus pertinent. Un Etat, en l’occurrence l’Italie, subissant une afflux migratoire à ses frontières, risquait de renvoyer le problème à tout ses voisins. La France, suivie par l’Italie, a alors demandé une révision des accords. Un vœu suivi par la Commission européenne. Les ministres européens de l’Immigration ont également validé une telle réforme. Le sujet sera sur la table d’un prochain Conseil des ministres les 9 et 10 juin puis du Conseil européen du 24 juin.

Concrètement, les possibilités de rétablir les contrôles aux frontières pourraient être élargis notamment en cas de crise aux frontières extérieures de l’Espace Schengen. Cette mesure est déjà possible « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure » et a été utilisée par la France suite aux attentats de 1995 et lors du Sommet du G8 à Strasbourg en 2009. Mais les nouveaux critères de rétablissement des contrôles n’ont pas encore été fixés. « Des critères, des modalités doivent êtres fixés pour éviter que ce soit le libre arbitre de chacun qui commande », s’est contenté de commenter Claude Guéant. Un accroc : le Danemark n’a pas attendu la réforme et a créé la polémique en souhaitant rétablir les contrôles à ses frontières.

Si les mesures attendues sont encore floues, l’air du temps est donc à la fermeté. Pourtant, Bruxelles s’était d’abord montrée intransigeante sur le sujet. En avril, la Commission avait critiqué les contrôles de la police française à la frontière franco-italienne. Puis, elle a commencé à reculer en validant l’arrêt par la France des trains entre Vintimille en Italie et la Côte d’Azur. La Commission cherchait en fait plus de moyens de la part des Etats pour gérer les frontières extérieures : « Nous ne lâcherons sur les frontières intérieures que si nous obtenons plus de moyens aux frontières extérieures » Ce qui sera fait avec le renforcement de l’agence Frontex et même d’un service de gardes-frontières européens.

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Au final, en validant une révision de Schengen, l’exécutif européen a montré une certaine faiblesse et mis à mal l’idéal d’Europe sans frontières. La Commission, ayatollah de la rigueur budgétaire, découvre en 2011 les bienfaits de la puissance publique. Mais certains Etats veulent encore défendre Schengen. Comme les Belges. « Rétablir les contrôles aux frontières intérieures n'aura aucun impact sur les flux migratoires venus d'Afrique. Cela ne ferait qu'ennuyer les citoyens européens, et nous faire reculer au niveau européen », a jugé Melchior Wathelet, Ministre de la Politique de migration et de l'Asile.

L’Espagne est aussi opposée à la réforme et préfère la solidarité avec les pays aux frontières de l’UE. « Le gouvernement espagnol estime que l'Italie mérite un effort de solidarité de la part de l'Union européenne, au même titre que Malte et la Grèce qui sont moins évoquées actuellement », avait déclaré la semaine dernière Alfredo Pérez Rubalcaba, ministre espagnol de l’Intérieur.
La droite européenne est aussi rétive aux rétablissements des contrôles. Mercredi, le français Joseph Daul, président du groupe PPE (droite européenne, majoritaire) au Parlement de Strasbourg s’est fait applaudir en appelant à plus d’humanité face aux migrants. « À la vague d'immigrés qui gagnent nos côtes dans des conditions précaires, qui meurent en mer, nos pays réagissent trop souvent par la division, les querelles, les fermetures de frontière voire la remise en cause d'un instrument de liberté de circulation aussi essentiel que Schengen », a-t-il déclaré.

L'inconstance de Sarkozy

Ces divergences doivent peu étonner et met en lumière les divisions idéologiques à droite. D’un côté, on a une droite libérale, tant sur les plans économique que politique, qui a toujours été attachée à une Europe sans frontières, une Europe de la libre concurrence. C’est une droite pour qui toute forme de protection que ce soit l’Etat-providence ou l’Etat gendarme est un frein à l’émancipation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Business Europe, le Medef européen est également rétif à une refonte de Schengen, jugeant que « les avantages de la migration de travailleurs vers l’UE sont indiscutables ». En face, on a une droite conservatrice, soucieuse de ne pas se faire déborder par l’extrême-droite, pour qui les notions de souveraineté et d’identité nationale sont fondamentales.

Nicolas Sarkozy a lui navigué entre ses deux courants en fonction de ses intérêts électoraux. Pour accréditer son côté libéral, il a défendu le traité de Maastricht contre Philippe Séguin, s’est fait battre aux Européennes de 1999 par Pasqua et de Villiers, défendu le Oui à la Constitution européenne. Devenu chef de l’Etat, il a fait adopter le traité de Lisbonne, prône un « pacte de compétitivité » avec l’Allemagne, rigueur budgétaire et convergence fiscale au menu. Pour jouer les conservateurs, il a défié la Commission européenne et redécouvre tout d’un coup le principe de souveraineté de l’Etat. Sa volonté de détricoter Schengen ne témoigne donc pas d’une obsession politique mais plutôt d’une inconstance. Son vrai guide idéologique, c'est la courbe de ses sondages.

16/5/2011, Tefy Andriamanana

Source : Marianne

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