mardi 26 novembre 2024 15:29

Semaine cruciale pour l'UE dans la crise des migrants

Une semaine complexe s'ouvre dans l'agenda européen avec la tenue jeudi et vendredi d'un sommet censé entériner le projet d'accord sur les migrants entre la Turquie et l'UE.

Ce conseil européen intervient alors que la politique d'accueil d'Angela Merkel, contestée par nombre de ses pairs européens, lui a valu un cinglant revers lors des trois élections régionales qui avaient lieu dimanche en Allemagne.

En Saxe-Anhalt, le parti anti-immigration Alternative für Deutschland (AfD) qui a fait campagne avec des slogans tels que "Sécurité des frontières" ou "Stop au chaos de l'asile" a obtenu plus de 24% des suffrages. Il progresse aussi dans les deux autres L?nder qui renouvelaient dimanche leur parlement.

Sous la pression de son propre camp, la CDU, et d'une partie de son opinion, la chancelière allemande semble avoir troqué son slogan de "Nous y arriverons" pour celui de "Les Turcs y arriveront pour nous".

Car Merkel, un temps partisane d'une large politique d'accueil, a reçu avec empressement les propositions turques pour prendre en charge l'afflux de migrants.

Le dimanche 6 mars, à la veille du sommet extraordinaire entre l'UE et la Turquie consacré à la crise migratoire, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a créé la surprise en proposant à la chancelière fédérale et au Premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le pays assure ce semestre la présidence tournante de l'UE, de reprendre tous les migrants arrivés en Europe par son territoire en échange de contreparties politiques et financières, ont dit plusieurs responsables allemands.

CHANGER LA DYNAMIQUE

Sur le principe du "un pour un", le projet prévoit de "renvoyer tous les migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques" et, en échange, de "procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie au départ des îles grecques, à la réinstallation d'un autre Syrien de la Turquie vers les Etats membres de l'UE".

Cette règle est présentée comme un moyen de dissuader les migrants d'entreprendre de dangereuses traversées de la mer Egée et de démanteler du même coup les réseaux de passeurs, les réfugiés syriens acceptés en Europe étant directement sélectionnés dans les camps en Turquie.

François Hollande l'a qualifiée de solution "efficace et humaine".

L'UE doit en échange doubler le budget attribué à la Turquie pour aider les réfugiés sur son territoire, à six milliards d'euros, accélérer la levée des visas pour les Turcs à destination de l'Europe, et relancer les discussions en vue de l'adhésion à l'UE de la Turquie.

Plusieurs acteurs européens de premier plan ont cependant été laissés à l'écart du dîner du 6 mars. Ni le président du Conseil européen Donald Tusk, ni celui de la Commission européenne Jean-Claude Juncker n'ont été conviés à ces discussions qui lui ont donné naissance, pas plus que la France.

Angela Merkel a estimé que l'accord était susceptible de "changer la dynamique entière", a dit un responsable allemand, ajoutant que les gains liés au projet devaient largement dépasser les concessions faites en retour par l'Union.

SOLUTION OU "IGNOBLE MARCHANDAGE"?

Le plan turc, présenté le 7 mars au sommet de Bruxelles, soulève en outre un certain nombre de points éthiques et juridiques qui pourraient faire obstacle à son adoption.

Donald Tusk a estimé que la reprise du contrôle des frontières extérieures de l'Europe était la condition pour que l'opinion publique européenne soutienne l'entrée de réfugiés, mais plusieurs associations estiment que l'Europe est tout simplement en train de fermer sa porte et se transformer en une forteresse.
Le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, s'est dit mardi "très inquiet" de ce projet. Le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al Hussein, redoute lui qu'il n'entraîne des "expulsions collectives et arbitraires" illégales au regard du droit international.
Au Parlement européen, certains groupes politiques ont qualifié l'accord "d'ignoble marchandage", d'autres députés ont déploré une telle collaboration avec le régime du "sultan" Recep Tayyip Erdogan.

Principal point de contentieux, les Européens doivent déterminer avant le sommet des 17 et 18 mars si la Turquie est un "pays tiers sûr" pour les migrants qui n'auront pas été autorisés à entrer en Europe.

Au niveau juridique, la Turquie limite son application de la Convention de Genève sur les réfugiés à ceux venant d'Europe, les migrants fuyant la guerre au Moyen-Orient ne peuvent donc pas bénéficier, dans la législation en vigueur, du statut de réfugié.

Des responsables turcs ont assuré qu'ils se conformeraient à la législation internationale dans le cadre de l'accord avec l'Europe.

Des juristes estiment que les demandeurs d'asile arrivés en Grèce pourront faire appel d'un renvoi en Turquie auprès de juridictions grecques notoirement lentes, et devront, en vertu de la convention de Genève, y être entendus avant de pouvoir être déplacés.

Enfin, l'empressement des responsables européens à accorder à la Turquie un rôle de refuge "sûr" pour les migrants contraste avec les récents développements politiques du pays. Le président turc a intensifié son action contre les séparatistes kurdes, et pris le contrôle au début du mois de plusieurs organes de presse et les voix dissidentes liées au mouvement de l'opposant et prédicateur exilé Fethullah Gülen font l'objet de purges de plus en plus importantes.

14 mars 2016,Paul Taylor

Source : Reuters

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