mercredi 27 novembre 2024 22:42

Sondage Ifop et immigration : le (gros) problème avec les échantillons "représentatifs"

Le 4 février, Atlantico a publié les conclusions d'un sondage Ifop sur les "attentes des Français pour les prochains mois", titrant alors leur papier comme suit : "68% des Français pensent qu'on en fait plus pour les immigrés que pour eux." Briac Chauvel s'est intéressé à la méthodologie employée pour réaliser ce sondage. Et il y a comme un problème.

Passionné par les véritables préoccupations des Français, j’aime avoir à ce sujet quelques certitudes chiffrées. C’est pourquoi je me suis naturellement précipité sur le site Atlantico, puisque son "vent nouveau sur l’info" (sic) annonçait en caractère gras les résultats d’un sondage Ifop des plus mathématiques : "68% des Français pensent qu’on en fait plus pour les immigrés que pour eux."

Des interviews "auto-administrés en ligne" ? 

À 1% près, on touchait même une statistique érotique qui aurait sans doute contribué au succès médiatique de cette enquête. J’ai immédiatement pensé à tous les Français que je connaissais et j’ai eu du mal à m’imaginer que sur 10 Français de mon entourage, 6,8 pouvaient bien penser une chose pareille. Alors, je l’avoue, je me suis demandé s’il n’y avait pas une erreur quelque-part.

J’ai d’abord consulté en fin d’article les données méthodologiques et j’y ai appris que l’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1927 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, par la méthode des quotas dont on nous dit qu’elle tient compte du sexe, de l’âge et de la profession de la personne interrogée.

J’ai commencé à ne plus rien comprendre quand j’ai lu que les "interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne".

J’ai toujours cru qu’une interview et qu’une personne interrogée nécessitait la présence d’un intervieweur ou d’un interrogateur et là j’ai brutalement pris conscience du fait qu’on pouvait se sonder tout seul. Peut-être qu’il faut d’abord mesurer tout seul sa représentativité et que ça suffit, mathématiquement, pour entrer dans le quota, me suis-je dit.

Depuis quand Français et immigré, c'est différent ?

Désormais conscient des limites de ma compréhension statistique, j’ai décidé d’aller plus loin dans mon effort de connaissance, poussé par une irrépressible envie de me sentir gaulois, comme dirait Geoffroy Didix, notre Druide. Et puis j’avais envie de m’auto-administrer des sondages à moi aussi, histoire de mieux me comprendre moi-même, sans marge d’erreur possible.

Avant ce sondage, je croyais que "Français" et "Immigrés" n’étaient pas nécessairement des antonymes, naïf que j’étais. J’avais dû apprendre à l’école de la République que Français, c’était la nationalité, et qu’immigré, c’était l’histoire de la personne. Qu’on pouvait être Français ou étranger, immigré ou natif, et donc qu’on pouvait être : Français natif ou Français immigré, étranger natif ou étranger immigré.

C’est vrai que c’était compliqué alors je me suis dit que l’Ifop avait dû simplifier les choses pour qu’on comprenne mieux ce qui nous arrive, à nous, les Français.

 Schizophrénie ?

Quelle ne fût pas ma surprise, par Toutatis, lorsque j’ai lu sur les sites de l’Insee et de l’Ined que la catégorie "immigré" dans la statistique publique concernait toute personne née étrangère à l’étranger et s’installant durablement en France. Je redoublai de doutes et de questionnements lorsque j’appris par exemple que 40% des immigrés comptabilisés en Lorraine en 2009 avaient acquis la nationalité française pour le moment.

 Naïvement, je me suis encore demandé : est-ce moi qui ne comprends pas la phrase de l’Ifop ou est-ce que l’Ifop a déconné ?

 Je récapitulai fiévreusement :

 "Si 68% des Français auto-administrés représentatifs de l’Ifop considèrent qu’on en fait plus pour les immigrés que pour eux et qu’une certaine proportion des Français est immigrée aussi, cela doit vouloir dire qu’une certaine proportion de Français immigrés de l’échantillon représentatif doit penser qu’on en fait plus pour eux que pour eux.»

 Une histoire de chats et de chiens

 J’ai eu l’impression que ma phrase ne voulait rien dire ou alors que l’Ifop avait réellement fait une faute de frappe. Alors j’ai essayé de réfléchir en faisant des comparaisons, conscient du fait que normalement, tout seul, je devais être moins intelligent que l’Ifop et l’échantillon représentatif réunis.

 Peut-on imaginer un résultat de sondage qui dirait, par exemple :

 - 68% des artisans commerçants pensent qu’on en fait plus pour les boulangers que pour eux ?

- 68% des enfants pensent qu’on en fait plus pour les petites filles que pour eux ?

- 68 % des retraités pensent qu’on en fait plus pour les nonagénaires que pour eux ?

 Là, j’ai commencé à comprendre qu’il y avait soit un problème de logique, soit un problème de faute de frappe. Le problème de logique, c’est une histoire de sous-ensemble dans l’ensemble, d’inclusion et d’exclusion. Voyez plutôt : si les chiens et les chats savaient parler, par exemple, on pourrait très bien imaginer d’être en mesure de comprendre le résultat de sondage suivant :

 - 68% des chiens pensent qu’on en fait plus pour les chats que pour eux.

 En effet, les chiens n’étant pas des chats et réciproquement, on peut fort bien imaginer qu’ils soient un peu jaloux des chats, pour des raisons qui leur appartiennent, à tort ou à raison, mais on imagine mal le sens que pourrait prendre les phrases suivantes :

 - 68% des chiens pensent qu’on en fait plus pour les Caniches que pour eux.

- 68% des chats pensent qu’on en fait plus pour les angoras que pour eux

 Quand j'ai compris

 Là, on se dit tout de suite que les chiens et les chats qui ont répondu ont peut-être un problème de reconnaissance de la caninité des caniches ou de la félinité des angoras ou alors que c’est le sondeur qui a fait une faute de frappe, confondant "caniche" et "canari", "angora" et "anaconda", par exemple.

 J’étais gêné d’avoir remarqué tout seul cette erreur, compte tenu de l’immense respect que j’avais pour l’Ifop. Mais j’ai fini par comprendre, lorsque j’ai entendu le président des préoccupations des Français dire qu’il y avait des Français "de souche comme on dit". Ce n’était donc pas une faute de frappe de l’Ifop, c’était un simple oubli. Il fallait donc lire entre les lignes :

 "68% des Français de Souche auto-administrés pensent que comme on dit, on en fait plus pour les immigrés que pour eux."

"L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1927 personnes, représentatif de la population française de souche âgée de 18 ans et plus."

 J’ai immédiatement ressenti des sentiments ambivalents, entre la fierté d’avoir compris quelque chose d’important et l’angoisse de cette préoccupation de souche. Alors j’ai passé la nuit à m’auto-administrer des sondages et je me suis réveillé en hurlant :

 "100% de mon être doute de l’existence des échantillons représentatifs de quoi que ce soit, comme on dit."

07-03-2015, Briac Chauvel

 Source : nouvelobs.com

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