La hausse de l’immigration suscite des inquiétudes en Suisse et pose la question d’une éventuelle activation de la «clause de sauvegarde» contenue dans les accords de libre circulation. Une telle mesure aurait toutefois des effets limités.
Quelque 75'000 personnes ont immigré en Suisse en 2011, soit environ 15% de plus que l’année précédente. Depuis mai 2011, les citoyens de huit nouveaux pays de l’UE – Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie et Hongrie –bénéficient de la libre circulation des personnes. 4700 personnes provenant de ces pays se sont installées en Suisse en 2011, soit 10% de plus que la moyenne des trois années précédentes.
Cette progression justifierait l’utilisation de la clause de sauvegarde prévue dans les accords sur la libre circulation avec l’Union européenne. Elle ne pourrait toutefois s’appliquer qu’aux huit nouveaux membres de l’UE et serait limitée au 31 mai 2014. Selon certaines estimations, elle réduirait l’immigration de quelque 1200 personnes.
Préférence nationale
Si elle est appliquée, la clause de ventilation signifiera le retour des contingents, explique Irene Tschopp, porte-parole de l’Office de l’économie et du travail du canton de Zurich, interrogée par swissinfo.ch. «Il faudra à nouveau recourir à la préférence nationale, comme avec les ressortissants d’Etats tiers, ce qui veut dire que les employeurs doivent prouver qu’ils n’ont pas pu trouver un employé adéquat en Suisse ou dans les autres pays de l’UE.»
Pour les autorités, l’application de cette clause ne comporterait pas de charge administrative supplémentaire, remarque Irene Tschopp. Ce fardeau additionnel finirait plutôt sur les épaules des employeurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ceux-ci sont dans leur majorité favorables à la libre circulation des personnes et opposés aux contingents.
Conscients des craintes de la population vis-à-vis de l’immigration, les associations d’employeurs ne contestent cependant pas vraiment l’activation de la clause de ventilation. Ainsi, l’association faîtière economiesuisse et l’Union patronale ont laissé entendre qu’elles accepteraient un plafonnement provisoire des permis pour les travailleurs en provenance des pays de l’Est.
Surtout symbolique
L’Union suisse des arts et métiers va même jusqu’à réclamer l’application de la clause. «Lorsqu’on regarde les chiffres, il est clair que l’immigration n’est pas assez contrôlée», affirme le directeur Hans-Ulrich Bigler. «Dans un sondage récent, les petites et moyennes entreprises se sont certes exprimées nettement en faveur de la libre circulation des personnes, mais il existe aussi au sein des PME une certaine inquiétude à cause de l’immigration.» C’est pourquoi, selon lui, il est important de donner un signal montrant que l’on prend ces inquiétudes au sérieux.
La population se satisfera-t-elle d’une mesure plus symbolique que réellement efficace? «La clause permettra de nous ménager un temps de réflexion pour analyser les problèmes de mobilité et ceux du logement et du marché du travail.» Ces problèmes ne sont cependant pas causés par l’immigration, mais par la situation suisse elle-même, souligne Hans-Ulrich Bigler.
Du côté des partis, une majorité du groupe parlementaire libéral-radical, proche de l’économie, s’est prononcée en faveur de la clause de ventilation, même si personne n’est vraiment convaincu de son efficacité pour freiner l’immigration. «Mais elle pourrait éloigner un peu la pression et faire souffler un vent contraire sur l’initiative de la droite conservatrice contre l’immigration de masse», explique le député Andrea Caroni.
«La mesure pourrait cependant être excessive», poursuit ce membre de la minorité du groupe PLR opposée à la clause. «En faisant fi de notre principe d’ouverture, on ne récolte rien d’autre que des contingents inefficaces.» Andrea Caroni est opposé aux régulations étatiques du marché du travail et «profondément convaincu que la libre circulation est un succès. Grâce à elle, des travailleurs peuvent venir en Suisse quand l’économie a besoin d’eux. Ils contribuent ainsi à la croissance.»
Chômage faible
Pour Andrea Caroni, l’immigration n’est pas un problème «tant que les personnes venant en Suisse ont envie de s’intégrer, travaillent, respectent notre droit, n’abusent pas de l’Etat social et, surtout, trouvent un emploi.» Or, il se trouve que le chômage est, en Suisse, extrêmement bas, en comparaison internationale, fait remarquer Andrea Caroni.
«Dans les secteurs qui ont le sentiment d’être envahis par les étrangers, les mesures d’accompagnement sont un garde-fou, affirme Andrea Caroni. Nous pouvons aussi veiller à ce que les gens ne reçoivent pas une autorisation de séjour de 5 ans dès leur arrivée en Suisse. Le rapprochement familial devrait également être bien contrôlé.»
Le groupe socialiste aux Chambres fédérales ne s’est pas encore prononcé officiellement sur la clause de ventilation. Dans plusieurs interviews, le président du PS, Christian Levrat, a toutefois déclaré qu’il n’excluait pas son application.
«Poudre aux yeux»
En matière d’immigration, l’Union démocratique du centre (UDC) est toujours en première ligne. A propos de la clause de ventilation, le député Ulrich Schlüer écrit dans la revue Schweizerzeit, dont il est le rédacteur en chef, que «la classe politique continue à perdre un temps infini avec des mesures qui ne sont que de la poudre aux yeux.»
«Dans les faits, la clause de ventilation ne permettra que de réduire l’immigration de 1200 personnes, ce qui fera passer le nombre annuel d’immigrés des pays concernés de 5000 à 3800, calcule Ulrich Schlüer. Tout cela n’est qu’une manœuvre pour cacher l’inaction de Berne vis-à-vis de l’immigration de masse.»
Le gouvernement pourrait décider en mai d'introduire ou non des contingents.
18/3/2012, Peter Siegenthaler
Source : swissinfo.ch