mercredi 27 novembre 2024 05:57

Sur le fil du rasoir, le projet européen vacille entre régénération et implosion

Les crises économique et migratoire font planer, partout en Europe, le spectre des extrémismes de droite et de gauche qui, à leur tour, laissent craindre un retour des murs et des frontières.

De fil en aiguille, la tentation de repli identitaire semble séduire un pan entier des classes politiques, au nom de la préférence nationale, d'une quête de relance économique et de la lutte anti-jihadiste.

En Pologne, en Hongrie, en Grande-Bretagne, mais aussi en France et en Grèce et dans des pays prospères du Nord, la montée en puissance des formations souverainistes et europhobes se confirme et laisse perplexe à plus d'un titre.

Et il paraît que les nouvelles forces souverainistes ont plus que jamais l'intention de tirer profit du "désenchantement" que suscite la succession de crises qui bouleversent le continent. "On avait promis monts et merveilles aux gens, mais ils sont mécontents d'une Europe mondialisée, ouverte à tous les vents", estime Bruno Gollnisch, eurodéputé du Front national.

Pour l'intellectuel et économiste suisse, Jean-Marc Maillard, "la peur est le plus grand ennemi de nos sociétés dans la mesure où elle peut conduire à des décisions parfois irrationnelles et qui risquent de se retourner contre ceux qui les ont établies".

L'on se rend bien compte, a-t-il confié à la MAP, que tout est décidé en fonction du calendrier électoral et que les débats parlementaires sont consternants.

Tout en se disant inquiet face à "la montée de l'intolérance, de toutes les intolérances", M. Maillard juge excessive la suppression totale des contrôles qui permettait de traverser l'Europe du Nord au Sud et d'Est en Ouest sans rencontrer les douaniers.

A bout de souffle, le projet d'intégration européenne a du mal à défendre l'essence même de ses principes fondateurs, ses valeurs communes et l'idéal d'une Europe cosmopolite et ouverte sur son voisinage.
"Notre avenir est commun, nous partageons une même humanité et nous devons collaborer sur la base de vertus communes et non pas sur la base de religions", a fait valoir l'expert.

Or aujourd'hui, de l'avis de l'académicienne en sécurité intérieure Marie-Hélène Miauton, "les liaisons font place aux divisions, voire à un état de crise permanent et multiple, une crise à la fois institutionnelle, interne, politique et économique".

Il s'agit, selon elle, d'une Union qui tangue entre association et fédération, en proie à une crise interne avec l'émergence de mouvements indépendantistes et régionalistes, une crise politique avec des Etats membres (Grèce et Royaume-Uni) et une crise de croissance avec un processus d'intégration en panne (Turquie et Balkans).

Au risque de fragmentation, s'ajoute celui d'implosion alimenté pas la crise de légitimité et le manque d'adhésion au projet européen, relève l'experte suisse.

Sur la problématique migratoire, le déferlement incessant des réfugiés en 2015 a fait éclater les égoïsmes nationaux, mettant en évidence la fragilité des valeurs sur lesquelles l'UE prétend être fondée. Bien que les pays membres aient fait passer en urgence une "relocalisation" contraignante de 160.000 migrants arrivés en Grèce et en Italie, celle-ci fut totalement rejetée par la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque.

La Hongrie, sous la houlette de l'extrême-droite du Premier ministre Viktor Orban, et la Slovaquie dirigée par le populiste Robert Fico, furent sans conteste les moteurs de la fronde contre toute politique migratoire commune. Les propos anti-migrants tenus par les dirigeants des deux pays trouvent une résonance particulière en Tchéquie voisine. Autant de démarches unilatérales qui menacent sérieusement l'accord européen de Schengen, considéré comme étant "cliniquement mort" par certains observateurs.

Par ailleurs, l'Europe s'apprête à vivre ces deux prochaines années au rythme du Brexit, l'éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l'UE défendue par les conservateurs du Premier ministre David Cameron.
Après sa nette victoire aux dernières législatives, Cameron défend une feuille de route claire, mais intenable pour les voisins allemand et français: rendre la construction européenne plus conforme aux intérêts britanniques ou la quitter.

Si les eurosceptiques se réjouissent des coups portés à l'édifice européen, il est pourtant possible que l'UE sorte au contraire renforcée de la dynamique actuelle d'autant plus qu'elle a plus que jamais besoin de réforme pour fonctionner efficacement avec 28 Etats membres aux intérêts divergents.

15 janv. 2016,Abdellah Chahboun

Source : MAP

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