samedi 30 novembre 2024 11:53

Un regard familial sur l’immigration : Les Gens des baraques, de Robert Bozzi

En 1970, Robert Bozzi réalisait le documentaire Les Immigrés en France : le logement. Il s’agit d’un film produit par le collectif Dynadia dont il est l’un des cofondateurs. Réalisé pour le Parti Communiste Français de l’époque, il s’agissait de démontrer les conditions insoutenables d’exploitation dans lesquelles se trouvaient les travailleurs immigrés, doublement exploités compte tenu de leur difficulté d’accès à un habitat digne.

Durant ces 52 minutes tournées en 16 mm et Noir & Blanc, il a filmé à Franc-Moisin l’un des quatre bidonvilles de Saint-Denis où se survivait alors une population portugaise. Au début des années 1990, Robert Bozzi revient sur ces images parce qu’il se rend compte qu’il est passé à côté des personnes qu’il a filmées. En effet, mû par sa fougue sincère et honorable de militantiste, vingt ans plus tard il s’est mis à regretter de ne pas connaître les personnes dont il a pris quelques instants de vie, et surtout l’un des plus émouvants : la scène d’une maman alitée avec son nouveau-né. Pour réparer cette erreur de jeunesse, Robert Bozzi décide de refaire un film en partant à la recherche de ces hommes et de ces femmes sur ces photos avec l’ultime graal de cette quête : retrouver le bébé de la photo, comme symbole d’espoir et d’avenir. Cette volonté de revisiter une époque de la contestation et du militantisme vécue par un cinéaste n’est pas sans rappeler la démarche d’Hervé Le Roux dans son documentaire Reprise réalisé peu après en 1996 et produit par Les Films d’Ici. Cette préoccupation concerne en effet quelques cinéastes d’une même génération.

Revenant sur ses jeunes années de réalisateur, Robert Bozzi tente de revisiter cette époque et d’interroger ses convictions avec la certitude présente au tournage qu’au-delà de toute idéologie ce qui importe ce sont les rencontres et à travers elles les êtres humains. Il passe ainsi du documentaire militant d’agit-prop avec voix off, discours politisé et regard résolument extérieur, à un témoignage personnel proche du journal autobiographique où l’autre est invité à partager son histoire. Alors qu’il recherche des familles entières d’immigrés portugais qui à l’époque pour une grande part ont fui la dictature et la police politique de Salazar, il se retrouve progressivement invité à faire partie a posteriori de ces familles. Lui qui joue seulement le rôle de passeurs d’images, il fait revivre à ces gens, qui n’ont vécu qu’un temps donné en un lieu qui ne leur a pas offert les meilleurs souvenirs de leur vie, la possibilité de se remémorer, comme pourrait le faire un ami voire un membre de la famille évoquant le passé commun. Ainsi, le cinéaste se retrouve invité à un anniversaire, à une fête, à une tablée familiale, etc. De telle sorte qu’il arrive à accéder au-delà de l’image à faire la connaissance des individus qu’il rencontre. Par là, cet objectif tout personnel de refaire un film passé et de réparer ainsi un « manque de politesse » dans sa rencontre avec l’autre, devient un acte politique différent de celui du tournage de 1970. Les Gens des baraques est un documentaire qui invite à partager une histoire passée comprise dans une histoire collective propre à un pays. Dès lors, l’histoire des immigrations et de ses immigrants en France, devient l’histoire familiale des Français à la recherche de leurs origines. On imagine très bien que les temps ont été durs pour certaines générations et que l’intégration n’a pas dû être facile en fonction des politiques nationales promues alors. Cette démarche du réalisateur est à la fois émouvante et enthousiasmante : un film pourrait ainsi offrir l’espoir d’une cohésion sociale sans que les origines géographiques soient une frontière dans la communication mais bien plutôt un enrichissement dans la diversités des points de vue échangés. Robert Bozzi n’est pas à cet égard naïf, plaçant à dessein une voix de journaliste de la radio énonçant des mesures prises à l’encontre des immigrés en Suisse au moment du tournage. Avec pudeur, Les Gens des baraques rend hommage à ces femmes et ces hommes qui ont cherché un espace de liberté en France sans vraiment être accueillis, malgré les valeurs républicaines qu’ils pouvaient partager avec cet État. Plus de 20 ans se sont écoulés entre le tournage des documentaires Les Immigrés en France et Les Gens des baraques, et la même période avec le visionnage de ce film en ce début de 2015. Comment a évolué le regard sur l’immigration et les immigrés sur cette nouvelle période ? Peut-on envisager de nouveaux espoirs de cohésions sociales ? C’est à chacun de nous d’y répondre et de faire évoluer le regard vers une véritable acceptation de l’autre pour que la rencontre et la vie sociale soit enfin possible.

20 janvier 2015, Cédric Lépine

Source : mediapart.fr

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