dimanche 24 novembre 2024 21:24

Un "travail d'arabe" pour déconstruire les stéréotypes

L’exposition "Attention travail d’arabe" d'Ali Guessoum, présentée à Paris jusqu'au 23 mars, détourne l’imagerie populaire française pour déconstruire, avec humour, les stéréotypes et le racisme à l’encontre des "Français venus d’ailleurs".

Il fut un temps où un  "travail d’arabe" désignait une tâche délicate et soignée, évoquant par exemple le raffinement de l’Alhambra de Grenade, ou la sophistication de l’orfèvrerie de Cordoue, au temps de l’occupation musulmane en Espagne. Puis la colonisation et le racisme  sont passés par là et l’expression est devenue synonyme de travail bâclé. Un glissement sémantique que dénonce l’artiste  algérien Ali Guessoum dans son exposition justement intitulée "Attention travail d’arabe" qui manie l’humour et l’audace pour déconstruire les stéréotypes. "Je voulais aborder les questions autrement. On parle toujours de l’immigration dans la colère, la victimisation, en ayant recours à des images tristes, en noir et blanc. Moi j’aime l’humour, j’aime rire et je voulais soulever les questions avec humour et mordant", explique à France 24 Ali Guessoum.

Il n’est pas le seul à aimer rire et le grand détournement fonctionne. Dans le hall de la mairie du XVIIIe arrondissement parisien, où Ali Guessoum expose jusqu’au 23 mars, Lucienne part d’un rire sonore. Venue initialement à la mairie pour une affaire administrative, l'octogénaire a été attirée par les couleurs éclatantes des panneaux faussement publicitaires. Car pour bousculer les "idées reçues véhiculées par les médias, les politiques ou la publicité", le moyen est aussi simple qu’efficace : retourner les clichés, détourner les messages et s’approprier les représentations de l’imagerie populaire française. Graphiste de métier, Ali Guessoum reprend à son compte les méthodes d’agence qui ont fait leurs preuves pour rendre nos cerveaux disponibles : accroche, visuel, concept.

 Cabas gisant à ses pieds, Lucienne décrypte les slogans à la loupe, pliée en deux devant les affiches. Elle déchiffre les annotations en plein et en délié reproduites sur une bouteille de vodka : "Absolut Burka… Produced and Bottled in Afghanistan….  À conserver à la maison".  Lucienne boit du petit lait  devant la bouteille d’alcool de patate dont le goulot a été recouvert du voile intégral. "Le message est évident. C’est une manière amusante de présenter les choses, ça change et ça peut faire évoluer les esprits", considère-t-elle avant de pencher sa loupe sur le "Camembeur Résident".

 "Nos parents ont construit la France ; je déconstruis les idées"

Soucieux de souligner "l’apport culturel, économique et social des Français venus d’ailleurs", Ali Guessoum déconstruit  le mythe scolaire de "nos ancêtres les Gaulois"  pour enrichir l'Histoire de France de ses apports "africain, arménien, berbères, chinois etc..".  Il évoque le passé colonial de l’Hexagone avec ses "Maures pour la France", allusion aux indigènes qui ont combattu sous le drapeau français pendant les deux guerres mondiales.

Arrivent ensuite le thème de l'immigration avec la Marche des Beurs de 1983 - la main jaune "Touche pas à mon pote" devient dans son affiche une peau de banane sur laquelle les marcheurs s’apprêtent à glisser.  Il n'épargne pas non plus la Françafrique avec son Afrique "pompe à fric" et ni le racisme anti-rom. Il évoque enfin la figure du Musulman devenu "ennemi de l’intérieur" après le 11 -Septembre.  "Derrière chaque Arabe, on vous fait croire qu’il y a un terroriste en puissance qui va chercher sa bouteille de gaz au Vieux Campeur", s’offusque l’artiste.

Ali Guessoum travaille sur  la mémoire collective, dans "une époque trouble où l’on efface le passé au Typex (...) Nos parents ont construit la France ; je déconstruis les idées", explique-t-il, pas peu fier de la formule. Mais derrière les expressions bien tournées de bon communiquant, l’ancien étudiant de sociologie a les arguments pour étayer son propos. Il explique que les préjugés raciaux sont inscrits dans le passé colonial de la France et se sont ancrés depuis dans l’inconscient collectif.  "La construction des stéréotypes ethniques des travailleurs immigrés est le résultat direct des recrutements dans les ex-colonies françaises dès les débuts du XXe siècle, à la recherche d’une main d’œuvre docile et corvéable pour les usines, les mines ou les huilerie", explique-t-il en exergue de son travail. 

"Je connais bien les questions d’identité et d’origine"

Ali Guessoum, lui-même aux prises avec la Préfecture où il a déposé son dossier de naturalisation il y a 4 ans, a entrepris son "travail d’Arabe" en 2010. L’idée a fleuri lors d’une discussion avec ses amis du groupe de musique Zebda et le groupe TactiKollectif de Toulouse lors du festival de musique "Origines contrôlées". Il a créé ses premières affiches autour du passé colonial de la France puis a enrichi sa collection au fil des années, puisant dans l’actualité qui n’a pas été mesquine ces derniers temps.  Polémique sur les Roms, affaire Taubira, succès d’audience de Dieudonné, beaucoup d'éléments portent à croire que le racisme devient politiquement correct en France.

Des attaques qui ne laissent pas Ali insensible. "Je connais bien les questions d’identité et d’origine. Mes racines sont en Algérie mais je pense et je rêve en Français", confesse celui qui avoue aussi avoir longtemps pensé que la naturalisation française serait "une trahison à ses parents". Né en Algérie en 1965, Ali Guessoum est venu en France à l’âge de 7 ans pour rejoindre son père, arrivé au début des années 1960 pour "faire le ménage dans les trains". Il a grandi "biberonné à Marianne" ; a participé à la Marche des Beurs à Paris en 1983 ;  a toujours refusé de taper dans la main de SOS racisme qui a récupéré la "cause des immigrés à des fins électoralistes". Il a d’ailleurs toujours refusé s'encarter même s’il se sent appartenir à la "famille de gauche/gauche".

 Il a plutôt développé son engagement politique au sein de l’association Remembeur qui organise des rencontres, des concerts, des lectures pour "promouvoir le vivre ensemble". Et à travers son art, fait pour "toucher le plus grand nombre". Ali Guessoum cherche à interpeller, questionner, convaincre. Et ça marche. Un vrai travail d’arabe.

 04/03/2014, Sarah LEDUC

 Source : France 24

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