lundi 25 novembre 2024 06:17

«Une remise en cause du principe d’égalité»

Historien, directeur de recherche au CNRS, Patrick Weil, auteur de Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (Gallimard, 2002), répond aux questions de Libération.

Comment réagissez-vous au discours de Grenoble et aux expulsions de Roms ?

En distinguant dans ce discours solennel les Français d’origine étrangère de ceux qui ne le sont pas, le Président a remis en cause l’un des fondements de notre République : l’égalité des citoyens devant la loi. Depuis son élection, il a cherché en fait à délégitimer certains de nos principes fondateurs, l’égalité mais aussi la laïcité. Sans autre résultat, pour l’instant, face aux résistances de la société française, que d’accroître des tensions qu’il ne cesse d’exacerber.

A Grenoble, Nicolas Sarkozy a évoqué «les conséquences de cinquante années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration»…

S’il attaque ainsi De Gaulle, Pompidou, VGE, Chirac, c’est qu’il veut d’abord signifier aux électeurs du FN que, comme eux, il pense que l’immigration d’Afrique était indésirable. L’immigration des années 60 était choisie et régulée, c’est son origine qui déplaît à Nicolas Sarkozy. Ce faisant, il jette l’opprobre sur certains de nos compatriotes eu égard à leur origine, il instille l’illégitimité de leur présence. Il semble ne cesser de leur dire : «Vous êtes là, je ne peux plus rien contre, mais j’aurais préféré que vous ne soyez pas là.» Il parle ainsi comme vient de le faire en Allemagne un membre démissionnaire du conseil de la Bundesbank [Thilo Sarrazin, accusé de racisme, ndlr], mais il le fait en langage codé.

S’agit-il seulement d’une stratégie électoraliste ?

Nicolas Sarkozy cherche à reconstituer une majorité derrière lui contre les criminels, les multirécidivistes, les Roms, les Français d’origine africaine ou les porteuses de burqa, majorité qu’il ne convainc pas sur les principaux sujets d’actualité, la réforme des retraites ou l’affaire Woerth-Bettencourt. Mais cette stratégie n’est pas conjoncturelle, elle date de 2005. Elle s’est traduite par la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ou le refus d’inaugurer la cité nationale consacrée à l’histoire de l’immigration.

Une circulaire a été envoyée aux préfets leur demandant de démanteler en priorité les campements roms. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’un ciblage discriminatoire. Les Roms, qui pour la plupart sont français, sont en outre soumis à des règles spécifiques, comme le carnet de circulation. Le communautarisme, ce n’est pas le fait de vivre en communauté, avec des gens qui vivent comme vous, pratiquent la même religion, ou sont de la même origine nationale. C’est lorsque la loi du groupe l’emporte sur celle de la République.

L’Elysée veut élargir les conditions de déchéance de la nationalité aux auteurs de crimes contre les policiers et gendarmes. Est-ce possible ?

Le chef de l’Etat a pris ses précautions pour éviter une censure du Conseil constitutionnel. La déchéance ou la perte de nationalité visent aujourd’hui des situations exceptionnelles, principalement des doubles nationaux qui se comportent comme des agents d’un Etat ou d’un groupe étranger. Telle que proposée, la peine de déchéance pourra concerner une personne de 27 ans ayant commis un grave crime - tuer un policier -, mais une personne née et éduquée en France, n’ayant plus aucun lien effectif avec un Etat étranger. Sous cette dimension, sa proposition me semble inconstitutionnelle.

Cette politique ne risque-t-elle pas de renforcer un sentiment d’exclusion ?

Certains de nos concitoyens doivent en permanence se justifier : non, ils ne sont ni intégristes ni islamistes, ils n’aiment pas la burqa. Il est inédit et inacceptable qu’un président cible une population donnée pour son avantage politique réel ou supposé. Tout ceci relève de calculs politiques sordides et indignes. Mais ils doivent savoir qu’au cours de son histoire, la France a toujours été divisée sur ces questions de nationalité, d’intégration des minorités, etc. La conception égalitaire et républicaine de la nation ne l’a emporté, à chaque fois, qu’au terme d’un long combat.

L’idée de nation risque-t-elle d’être altérée en profondeur ?

L’appel que vous publiez, les réactions négatives au discours de Grenoble, y compris au sein du camp présidentiel, démontrent l’ampleur des résistances et des solidarités, et la force des principes universels qui fondent la nation. Mais la résistance peut s’user. Il ne s’agit pas juste de témoigner ou de s’indigner, mais, dans le combat d’aujourd’hui, de l’emporter.

Source : Libération.fr

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