L'agence Frontex, chargée de surveiller les frontières extérieures de l'UE, pourra bientôt intervenir dans les eaux internationales et refouler en toute légalité les réfugiés où bon lui semble. Un progrès pour les migrants ?
Ce qu'il y a de bien en haute mer, c'est que chacun peut y faire comme bon lui semble. C'est en tout cas ce que semble croire l'UE. On ne peut expliquer autrement que les gardiens de ses frontières s'apprêtent à entrer en action dans les eaux internationales. Stopper, contrôler et fouiller les bateaux de réfugiés, arrêter leurs passagers et les conduire en des lieux où ils ne veulent pas aller. Voilà ce que Frontex [l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'UE] sera habilitée à faire dans quelques semaines, comme si elle était chez elle.
Ce qui pourrait en d'autres circonstances entraîner de lourdes conséquences diplomatiques semble ne poser aucun problème quand il s'agit de bateaux de réfugiés - après tout, ils ne peuvent pas se défendre.
Ainsi la liberté de mouvement des uns représente une paire de menottes pour les autres. L'UE est en expansion. Tant mieux pour tous ceux qui bénéficient de la liberté de circulation. Cela étant, plus l'Union s'agrandit, plus elle prend de libertés pour défendre ses frontières extérieures.
Certes, arrêter les réfugiés et les reconduire dans les pays d'où ils viennent n'a rien de nouveau. Mais jusqu'à présent, c'était plutôt le fait de quelques Etats membres dotés de frontières maritimes - l'Italie, l'Espagne, la Grèce. S'ils enfreignaient ainsi le droit européen, ils ne s'en souciaient guère - bien que la Cour de justice de l'Union européenne ait accordé partiellement des droits à indemnisation aux réfugiés.
A l'avenir, c'est en toute légalité que l'agence Frontex pourra assurer la garde commune des frontières européennes sous forme de missions multinationales. Que l'UE présente la chose comme un progrès en matière de droit des migrants sous prétexte que l'obligation de sauvetage entre ainsi dans la loi, ne manque pas d'audace.
Il y a dix ans que le ministre de l'Intérieur [du gouvernement Schröder, 1998-2005] Otto Schily a proposé que les réfugiés mènent les procédures de demande d'asile depuis l'Afrique du Nord. En vain. Mais les choses peuvent changer - par exemple, si les partis d'extrême droite engrangent les succès lors des prochaines élections européennes [des 22-25 mai].
Au cœur de la nouvelle réglementation se trouve la notion de "pays de transit sûrs" : Frontex ne pourra reconduire les réfugiés que dans ces pays-là. La politique européenne de voisinage avec l'Afrique du Nord consiste donc notamment à inciter des pays comme la Tunisie, voire la Libye, à mettre en place leur propre système d'asile - même si les ressources qu'ils pourront y consacrer sont moindres que celles des Etats européens. Bruxelles est loin d'avoir abandonné son rêve de protection off shore contre l'afflux de réfugiés.
7 avril 2014, Christian Jakob
Source : courrierinternational.com