Les huit juges de la Cour suprême américaine sont apparus très partagés lundi à propos de l'explosif dossier de l'immigration, sujet majeur de la campagne présidentielle.
Les magistrats examinaient la validité d'une mesure emblématique du président démocrate Barack Obama, qui vise à protéger quatre à cinq millions de clandestins d'une expulsion.
Paralysé par un Congrès dominé par ses adversaires républicains, Obama avait annoncé en novembre 2014 une série de décrets prévoyant des régularisations temporaires et la délivrance de permis de travail.
Mais 26 Etats, quasiment tous à majorité républicaine, ont refusé d'appliquer ces décrets.
Les juges doivent rendre leur décision avant fin juin, soit un mois avant les conventions d'investiture à la présidentielle des deux partis, démocrate et républicain.
L'immigration est l'un des premiers chevaux de bataille des candidats conservateurs à la Maison Blanche, notamment Donald Trump, qui a promis de dresser un mur à la frontière avec le Mexique, électrisant davantage un débat à fort clivage.
"Il s'agit d'un jour incroyablement important à la Cour suprême. Le sort de millions d'immigrants et de leurs familles est en jeu", a écrit sur Twitter un célèbre présentateur de la chaîne hispanique Univision, Jorge Ramos, qui s'était rudement opposé à Donald Trump sur le sujet.
Au son des mariachis, la question a mobilisé plusieurs centaines de manifestants, majoritairement hispaniques, encadrés par d'importantes forces de sécurité, devant les bâtiments de la Cour suprême à Washington.
Roshell, jeune Mexicaine de 17 ans arrivée clandestinement avec ses parents dans l'Alabama (sud) lorsqu'elle était bébé, vit dans la peur quotidienne d'être expulsée. Comme l'Alabama s'oppose aux mesures d'Obama, elle ne peut ni travailler, ni étudier... mais doit payer des impôts.
"Il y a beaucoup de barrières que m'empêchent d'aller à l'université. Je ne peux pas avoir de permis de conduire ni de travail", explique-t-elle.
Signe de l'ampleur du débat, qui pose aussi la question de la latitude d'action de l'exécutif, la haute Cour avait prévu 90 minutes, une durée exceptionnellement rallongée, pour entendre les parties.
Le président conservateur de la Cour, John Roberts, et son collègue Anthony Kennedy, un conservateur plus modéré qui fait souvent figure d'arbitre, ont contesté les arguments du gouvernement.
M. Kennedy a estimé que choisir quel groupe d'immigrants pouvait rester aux Etats-Unis était une "tâche législative et non exécutive". "C'est comme si le président définissait la politique et le Congrès l'exécutait. C'est le monde à l'envers".
Les quatre juges progressistes ont pour leur part soutenu le gouvernement et rappelé que les prédécesseurs d'Obama à la Maison Blanche avaient pris des décisions similaires.
Le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, a mis en garde contre les conclusions hâtives et "réitéré (sa) confiance continue" dans les arguments de l'avocat général, Donald Verrilli, qui défendait le gouvernement.
Quelques membres de l'ultra-conservateur Tea Party sont aussi venus manifester devant la haute Cour pour contester la récente nomination par le président Obama de Merrick Garland, selon la chaîne CNN. Ce progressiste modéré est appelé à remplacer le juge conservateur Antonin Scalia, décédé en février.
En attendant cette nomination, la haute Cour fonctionne avec huit magistrats, quatre progressistes et quatre conservateurs. Or une décision à quatre contre quatre prolongerait le blocage des mesures d'Obama.
Le Texas, qui conteste les décrets de M. Obama, estime par exemple que cela lui coûterait des millions de dollars d'accorder des permis de conduire aux immigrants autorisés à rester.
Le juge Roberts a défendu la possibilité pour le Texas de contester ces décrets et souligné un "dilemme", car le Texas pourrait lui-même être poursuivi par le gouvernement fédéral s'il refusait d'accorder ces permis de conduire.
Sonia Sotomayor, premier juge d'origine hispanique, a noté que si le Texas était autorisé à poursuivre le gouvernement fédéral sur l'immigration, cela ouvrirait la boîte de Pandore: d'autres Etats pourraient à leur tour contester des décisions fédérales.
Les immigrants clandestins sont "là, que nous voulions d'eux ou pas", a-t-elle affirmé.
Une "solution permanente" est nécessaire, a appuyé le chef de l'opposition démocrate au Sénat, Harry Reid.
"Notre pays se porterait bien mieux avec une révision bipartisane et complète de nos lois migratoires", a-t-il insisté.
L'initiative phare d'Obama est au point mort alors qu'il avait fait de ce dossier l'une de ses priorités en arrivant au pouvoir en 2009.
Si la Cour suprême tranchait en faveur du gouvernement, il resterait sept mois à l'exécutif pour appliquer son programme. Mais tout l'édifice pourrait être balayé si les républicains emportaient la Maison Blanche.
19 avr 2016
Source : AFP