lundi 25 novembre 2024 05:55

Yvan Sagnet, l'homme qui dénonça l'exploitation des migrants en Italie (ENTRETIEN)

Il était venu en Italie pour étudier et par passion du football, il y a découvert l'exploitation des migrants dans les campagnes du sud. Yvan Sagnet, un jeune Camerounais, sera bientôt décoré pour avoir dénoncé cet esclavage moderne.

"On parle de la pauvreté, de la misère en Afrique mais ce que j'ai vu dans le sud de l'Italie, en pleine Europe, enlève toute dignité à l'être humain", confie à l'AFP Yvan Sagnet, 31 ans.

Arrivé à Turin en 2007 avec un visa d'étudiant, ce diplômé en télécommunication fait partie de la promotion de cette année d'une quarantaine de "héros ordinaires" nommés chevaliers de l'ordre du Mérite par le président de la République italienne.

La décoration doit lui être remise dans les prochaines semaines pour son combat contre le "caporalato", le système de recrutement et d'exploitation des ouvriers saisonniers contrôlé par la criminalité organisée.

Pendant l'été 2011, il a pris la tête d'un soulèvement collectif dans la région des Pouilles contre ce dispositif qui sévit en Italie depuis des décennies. Raison pour laquelle sa vie est aujourd'hui encore menacée.
"J'avais raté un examen, je n'avais plus droit à ma bourse d'étude. Il fallait trouver de l'argent, alors sur les conseils d'un ami, je suis parti ramasser des tomates", raconte ce fervent supporter de la Juventus, le célèbre club de football turinois.

Son voyage le conduit à Nardo, dans le talon de la botte italienne, où il savait qu'une exploitation cherchait des saisonniers employés à la journée.

"Sur place, j'ai découvert un camp de tentes où vivaient environ 800 personnes, avec seulement cinq douches, des conditions d'hygiène inimaginables".

"Il y avait des Tunisiens, sans doute les plus nombreux, mais aussi des Marocains, des Angolais, des Burkinabés, des Maliens... J'étais le seul Camerounais", se souvient-il, encore ému à l'évocation de cette période.

Dans un rapport de 2015, les syndicats italiens ont estimé entre 300.000 et 400.000 le nombre de travailleurs agricoles, majoritairement des migrants africains, employés dans les campagnes pour la récolte des fruits et de légumes.

Une semaine passe avant qu'Yvan Sagnet ne rencontre pour la première fois un "caporal", un de ces chefs de gangs, souvent liés à la mafia, qui font office d'intermédiaires entre les exploitants et les ouvriers agricoles.

On lui confisque sa carte d'identité. Il comprendra plus tard que les papiers sont utilisés par les caporaux pour recruter d'autres travailleurs, souvent clandestins.

Dans les champs, le travail est exténuant. Jusqu'à 16 heures par jour, sous un soleil de plomb, pour un salaire de misère: 20 à 25 euros par jour, dont il faut encore souvent déduire le prix des bouteilles et des sandwiches vendus par les caporaux.

"Certains travaillaient en plein ramadan, sans manger ni boire. Si quelqu'un s'évanouissait, on ne l'aidait pas à se relever et s'il voulait aller à l'hôpital, il devait aussi payer pour son transport", s'indigne encore Yvan Sagnet.

La décision d'un exploitant de durcir les conditions de travail, sans rémunération supplémentaire, sonne la révolte et le pousse, un matin de juillet, à demander à ses camarades de cesser le travail.

"On a bloqué la route, il y a eu des embouteillages, la police est arrivée, les médias aussi. C'est ce qu'on voulait, attirer l'attention sur nos conditions de travail", raconte celui qui est devenu, sans le vouloir, le symbole de la fronde.

La grève dure un mois et aboutit à une revalorisation des salaires ainsi qu'à la condamnation de plusieurs caporaux et exploitants agricoles.

D'autres arrestations ont suivi dans d'autres régions d'Italie en 2011 et une loi faisant du "caporalato" un délit pénal a été adoptée la même année par le Parlement italien, prévoyant des peines de prison et des amendes.

La loi a depuis été renforcée. Elle inclut depuis octobre 2016 la confiscation de biens des employeurs et intermédiaires - une mesure qui a déjà fait ses preuves dans la lutte contre les organisations mafieuses - et prévoit l'indemnisation des victimes ainsi que des mesures pour soutenir les saisonniers et favoriser leur transport, dans des conditions correctes, vers les exploitations.

Sur le terrain toutefois, la réalité n'évolue que lentement. Yvan Sagnet n'a pas abandonné la lutte, même si elle a pris d'autres formes comme le syndicalisme ou l'écriture. Dans "Ghetto Italia", ouvrage sorti en 2015, il dénonce "les vrais responsables" que sont, selon lui, les enseignes de la grande distribution.
"Dans leur course au profit, elles obligent les producteurs à réduire leurs coûts sur le dos d'une main-d'oeuvre bon marché. Une dure réalité sur laquelle les autorités locales ferment les yeux", explique-t-il.

20 jan 2017

Source : AFP

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