mercredi 27 novembre 2024 12:52

Zine-Eddine Mjati, écolo de gauche à la conquête de la neuvième circonscription

Zine-Eddine Mjati  s’est aguerri en politique dans les rangs de la Jeunesse de l’USFP où il a fait ses premiers pas jusqu’à l’âge de 21 ans avant de s‘exiler en France pour y militer toujours le cœur à gauche. Aujourd’hui, à 46 ans, si son cœur n’a pas viré de bord, il aura,  tout de même, attiré par quelques sirènes vertes, botté en touche, chemin faisant, ces bons vieux Marx et Lénine, pour se consacrer bec et ongles aux causes écolos.

Candidat de la Gauche et de l’Ecologie «les Verts» à la neuvième circonscription regroupant quelque 16 pays (Maghreb plus Afrique de l’Ouest) lors des prochaines législatives. Il devra néanmoins disputer la députation des quelques gros calibres genre Khadija Doukkali (UMP) ou Pouria Amirashi (PS) ainsi qu’aux prétendants des autres formations politiques de l’Hexagone. C’est dans ce cadre justement, que Zine-Eddine Mjati a bien voulu se prêter au jeu des questions de Libé.
Libé : Monsieur Zine-Eddine Mjati, exilé fiscal est un terme courant chez vous ?
Zine-Eddine Mjati: Tout d’abord, permettez-moi d’avoir une pensée pour les victimes de Montauban et de Toulouse et présenter mes condoléances à leurs familles et à la famille du Franco-Marocain Imad Ben Ziaten qui va être inhumé à M’diq.
Pour revenir à votre question, d’abord, il faudrait revenir à l’origine de cette histoire. Les Français n’admettent pas que leurs compatriotes puissent immigrer un jour alors que l’Hexagone est historiquement un pays d’accueil. Leur dire aujourd’hui qu’ils ont eux aussi des immigrés et ça fait quand même plus de trois millions, ça ne passe pas, d’où ce qualificatif employé envers ceux qui sont en réalité partis hors de France pour des raisons familiales, sociales et économiques. Ces compatriotes établis hors de l’Hexagone, ne sont pas des exilés fiscaux. Contrairement à l’idée reçue, ils ont une grande part de contribution dans le développement de la France et du pays d’accueil.
Un petit mot sur votre parcours politique en France plutôt costaud et qui à l’origine, dû à la révolte de la “Koumira”.
J’ai débuté mon parcours politique très jeune avec notamment la Jeunesse Ittihadia à l’USFP avant d’aller en France où j’ai rejoint l’extrême gauche. Au retour d’Abraham Serfaty au Maroc et l’intronisation de S.M le Roi Mohammed VI, j’ai alors décidé de m’occuper un peu de politique en France et je me suis engagé avec les écolos tout en ayant un œil de ce qui se passait au Maroc.
Puisque nous arrivons à la politique en France, vous le candidat à la députation de la 9ème circonscription électorale, vous visez ici au Maroc alors qu’il est généralement acquis à la droite voire parfois à la gauche (PS )
Je ne vise pas un électorat spécifique. Je me présente pour solliciter le suffrage de l’ensemble des Français habitant la neuvième circonscription dont on sait pertinemment que sociologiquement  quatre catégories de Français y existent.  Ceux qui sont  très âgés et qui y sont depuis la colonisation et qui y sont restés, ceux qui sont venus dans le cadre de la coopération et qui y sont restés, ceux qui s’y sont installés récemment (les jeunes retraités) et la grosse masse, ceux qu’on appelle les binationaux. Malheureusement, et ce qui donne à penser que le vote est à droite, ce qui n’est pas vrai, la participation est faible, les votes sont éparpillés; seuls les habitués votent et ceux-là sont majoritairement à droite, d’où les résultats que vous semblez annoncer. On a deux références, l’élection 2007 : Ségolène Royale (58%) Nicolas Sarkozy (42%). Deux ans plus tard, on a eu les élections à l’Assemblée des Français de l’étranger. Sur 24 conseillers de la circonscription, les candidats de la gauche n’en ont eu que sept. Un retournement de situation parce que l’on est passé de 40% de participation pour les présidentielles à 20% pour les élections des conseillers à l’étranger. Ce qui veut dire que dès lors qu’il y a abstention très forte, c’est la droite qui l’emporte et vous voyez donc que quand la gauche est mobilisée, elle est gagnante.
Justement devant ce manque de mobilisation de la part de l’électorat, pourquoi les partis de gauche ne s’unifient-ils  pas autour d’un seul et même candidat?
La gauche, sa chance est qu’elle est plurielle avec ses histoires justement très diverses et qu’elle ne se résume pas à un seul parti. Elle n’est forte et efficace que quand elle reconnaît sa diversité. Nous avons eu des discussions à ce propos avec le P.S puisque c’est ce que vous visiez à travers votre question. C’est tout à fait normal. Cela étant dit, on a des accords avec le P.S au niveau national, mais il n’a pas souhaité avoir des accords sur l’ensemble des onze circonscriptions sauf sur deux, la seconde et la septième. C’est une bonne chose parce que pour la première fois, chacun d’entre nous ira sous ses propres couleurs pour savoir ce qu’il est capable de mobiliser.
La spécificité de la neuvième circonscription?
La neuvième circonscription comprend les pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. C’est la seule région,  qui a une histoire commune avec la France qui a avec notre pays des liens et des attachements assez forts, d’Espagne, en passant par tirailleurs sénégalais, l’immigration légale et clandestine et jusqu’aux binationaux, etc., c’est toute une histoire qui a été écrite par les populations de cette région-là. Voilà la spécificité de la neuvième circonscription. D’ailleurs à ce sujet, je voudrais revenir sur les propos du président sortant «Nicolas Le Pen » qui dans un récent discours à Dakar, a traité l’homme africain de n’être pas assez rentré dans l’histoire de l’humanité. Je lui réponds par les évènements actuels que connaît la région (Printemps arabe, élections au Sénégal, etc.).
Le nombre d’électeurs dans cette circonscription s’élève à combien?
Ils sont 140.000 électeurs dont 40.000 au Maroc, 28.000 en Algérie, 20.000 en Tunisie, 14.000 au Sénégal et autant pour la Côte d’Ivoire avant la crise et le reste est éparpillé sur les onze pays restants. Donc vous voyez, le Maghreb à lui seul compte plus de la moitié de l’électorat.
Devant une géographie si vaste, comment entrevoyez-vous la campagne de proximité auprès de vos compatriotes ?
 C’est la région la moins large contrairement aux autres circonscriptions. Qu’à cela ne tienne. Aujourd’hui, on a des moyens techniques de communication, il y a les sites et les courriels. Sachant qu’on ne peut pas être partout, on utilisera, nous candidats, la liste électorale et les adresses emails. Nous sommes les seuls à être autorisés par la loi à faire campagne de cette manière contrairement à l’Hexagone.
Vous avez évoqué sur les ondes d’une radio la VIème République. Qu’entendez-vous par là ?
La VIème République telle que pensée par les écologistes, c’est sortir de la présidentialisation en France. La Vème République, la Constitution de 1958  qui a 54 ans aujourd’hui, a été taillée comme vous le savez, pour une seule personne, le général De Gaulle. Cela s’est transformé quelque part en un monarque républicain selon les historiens. La seconde chose, c’est qu’on estime que les institutions françaises aux normes d’aujourd’hui ne répondent plus à notre époque. Il faut passer à un gouvernement où c’est le Premier ministre qui est élu par le peuple et qui est responsable devant le peuple. Il présente son gouvernement, son programme aux deux assemblées mais c’est le Président qui donne ses consignes sans être jugé par le peuple. Bien entendu en intégrant tout le paradigme écolo dans la Constitution.
On a l’impression qu’il n’y a pas beaucoup d’engouement envers le Vert de la part des Français.
Désolé, vous n’êtes pas dans le réel. Au niveau des Européennes, nous avons eu le même nombre d’élus que les socialistes; on les a talonnés. 14 députés pour chacun d’entre nous. Avant, il y avait les cantonales, où l’on a enregistré entre 13% à 16% par endroits. Si vous me dites que ce nombre pour un parti politique c’est peu, bien sûr. Votre ambition c’est d’être le premier parti de France. C’est la nature de l’élection qui détermine le pourcentage. Aux présidentielles de 2007, Dominique Voynet a fait un point et demi. A la lecture, l’électeur français estime qu’on est à même de bien mener les affaires au niveau local aux européennes, mais il estime par ailleurs que l’on n’est pas encore fait pour gouverner à la présidence. Quelque part on est schizophrène. On est contre la présidentialisation et même on est obligé de présenter un candidat pour la présidentielle bien qu’elle ne soit pas l’élection préférée de notre électorat. Pourquoi ? Parce que c’est une élection majeure à laquelle on ne peut pas être absent.
Vu d’ici, Eva Joly nous paraît un peu comme l’intrus dans l’histoire de la candidature. La sympathie est plutôt pour Monsieur Ushuaia, le Vert des Verts, Nicolas Hulot.
A qui vous le dites ? J’étais dans son staff. On a fait une campagne digne, assez axée sur les problématiques écologistes. On a malheureusement perdu aux élections internes. Dont acte ! Le choix s’est porté sur Madame Eva Joly. On l’accepte et on est tous derrière elle pour la présidentielle.
Elections honnêtes?
Oui, oui, honnêtes. En interne très honnêtes, la seule chose comme je l’ai dit, c’est qu’on a eu 15.000 adhésions en l’espace d’un mois. Il suffisait de payer 10 euros pour adhérer et pouvoir voter. Au P.S, c’était un euro. Je ne vous cache pas que certains partis politiques en France voyaient d’un mauvais œil la candidature de Nicolas Hulot qui avait aux sondages 13% d’intentions de voix.
Avant-hier c’était la journée de la Francophonie . Un petit mot à ce sujet?
J’étais en tant qu’ancien conseiller en Ile de France, responsable de la Francophonie; je travaillais à l’Association des francophones du monde. On a fait notre congrès pendant ma mandature, à Kinshasa. Avec la politique de «Nicolas Le Pen» comme le traitent les médias internationaux et son Claude Guéant et sa dernière circulaire sur les étudiants étrangers, comment voulez-vous qu’un pays qui veut défendre sa culture, sa langue puisse se comporter de cette manière-là? J’estime que c’est s’isoler du monde entier et que le français va en subir de graves conséquences. Les étudiants étrangers qui viennent étudier chez nous sont les futurs ambassadeurs de notre culture et de notre langue. Quel message vont-ils transmettre de retour chez eux? Permettez cependant de saluer tout le travail, entrepris, bien plus que les deux précités, pour la Francophonie. La politique du «diviser pour régner» du président sortant est basée sur la haine pour une question électoraliste.
Votre programme?
Le point essentiel de mon programme c’est la sécurité des biens et des personnes dans cette région.
 La neuvième circonscription est une belle et magnifique région mais malheureusement elle est instable. J’en ai pour preuve, la crise en Côte d’Ivoire. On est passé en un laps de temps de 16.000 Français à 4000 dans ce pays. 12.000 compatriotes en sont partis, y abandonnant tous leurs biens. Au Mali, il y a un coup d’Etat sans parler de la guérilla que subit l’armée dans le nord-est. Si on y ajoute le Printemps arabe en Tunisie et la révolution libyenne et ceux qui ont quitté l’Algérie au vu du nombre réduit d‘électeurs, donc on sait que la sécurité est primordiale dans cette région-là et j’en fais ma priorité. Il y a aussi la sécurité sociale dans cette région.
Beaucoup de familles au vu de ces situations sont en difficulté parce qu’il n’y a pas une assistance sociale à la hauteur. C’est dû à la politique prônée par Nicolas Sarkozy, la RGPP (Réforme généralisée des politiques publiques) où l’on a de moins en moins de fonctionnaires dans les Consulats d’où un moindre accueil, plus personne à qui s’adresser alors que des familles sont en situation de précarité et sans soutien. Je suis pour réformer cet état de faits et notamment la Caisse des Français de l’étranger, la caisse qui gère la sécurité sociale hors de France.
Il est un autre problème essentiel à mes yeux et auquel il va falloir trouver une solution, c’est celui de la scolarité de nos enfants à l’étranger. L’éducation est un droit constitutionnel, mais malheureusement il n’est pas égalitaire dans la mesure où le gouvernement a décidé que pour les Français établis hors de France, leurs enfants se doivent de payer pour être scolarisés. Or, on sait pertinemment que c’est constitutionnel. Comment un pays comme la France, 5ème puissance mondiale, puisse discriminer ses enfants établis à l’étranger.
Un élève français sur le sol national coûte à l’Etat 10.000 euros par an pour l’ensemble de sa scolarité  alors qu’un élève français expatrié coûte 4800 euros. C’est moins de la moitié et nous les écolos, nous sommes pour la gratuité de l’école de tous les élèves expatriés. Ils sont 110.000 de par le monde. Les établissements scolaires français à l’étranger accueillent  300.000 élèves, un tiers donc est français et le reste  est composé d’enfants de pays d’accueil. Cela  entre dans le cadre de la Francophonie, de l’éducation à la française et de la coopération. Donc, voilà pourquoi nous sommes pour que la France rajoute les 5200 euros pour la gratuité sachant que Nicolas Sarkozy l’avait promis mais ne l’a pas mise en place. A ce propos, je réitère que la gauche est diverse, plurielle et variée, le P.S est contre la gratuité.
Autre problème que rencontrent nos compatriotes expatriés : la fiscalité. On a débuté notre entretien avec ce que c’était un exilé fiscal. La France a passé plus de 140 conventions avec les pays d’accueil justement pour que l’on sorte de la double imposition. Nous souhaitons, nous écolos, que ceux qui payent leurs impôts en terre d’accueil ne payent  pas un double impôt en France. Nous estimons que tous les étrangers vivant en France payent des impôts pour l’Etat français. Il n’y a pas de raison pour que nous demandions aux  pays d’accueil de taxer nos compatriotes. Le P.S demande une évaluation de l’impôt hors Hexagone et payer éventuellement la différence en France. C’est complètement démagogique.
Au niveau de l’UMP et notamment le Secrétaire d’Etat des Français de l’étranger Edouard Courtial, pour un prétexte électoraliste, a proposé un amendement heureusement qui n’est pas passé pour dire que les binationaux qui ne payent pas d’impôts en France, risquent de perdre la nationalité. La nationalité n’est pas un porte-monnaie. Elle est acquise par le sang, le sol et par une volonté délibérée consciente pour une personne de l’intégrer.   
Par ailleurs, l’Assemblée des Français à l’étranger n’est que consultative. Dans notre programme, nous demandons sa réforme et à ce qu’elle devienne délibérative et qu’elle s’occupe de l’ensemble des questions des expatriés. On a différents guichets et on ne sait pourtant pas à qui s’adresser.
27 Mars 2012
Source : Libération

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