M. Mohamed Mike FANI, président et fondateur de la Fondation Suisse Maroc pour le Développement Durable et de la Fondation VIMANIS (Suisse), Représentant principal auprès des Nations Unies
La COP22, 22e conférence internationale sur le climat s'ouvre lundi 7 novembre à Marrakech autour du thème « l’atténuation des effets du changement climatique et l’innovation en matière d’adaptation ». L'accord de Paris vient d'entrer en vigueur. Une centaine de pays l'ont ratifié, sur 195 pays. Quels sont, selon vous, les actions concrètes à attendre de la COP22, pour en faire, comme l’ont déclaré les organisateurs, « la Conférence de l’action » ?
M. FANI : l’environnement mondial continue d’être malmené. La réduction de la diversité biologique se poursuit, les ressources halieutiques continuent de se réduire, la désertification progresse dans des terres naguère fertiles, les effets préjudiciables du changement climatique sont déjà évidents, les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes et dévastatrices et les pays en développement, de plus en plus vulnérables, et la pollution de l’air, de l’eau et du milieu marin continue de priver des millions d’individus d’une existence convenable.
La capacité d'invention de l'Homme et le pouvoir qu'il s'est donné de modifier l'environnement, appellent, en contrepartie, à une exigence : c'est l'esprit de responsabilité.
Sachant que nos sociétés consomment et polluent bien plus et bien plus vite que notre planète ne peut le supporter, quels changements de nos pratiques va-t-on s’imposer collectivement pour éviter de tout détruire ?
Il est faux de prétendre que la Nature a la capacité de guérir toutes les blessures que l'Homme lui inflige. Il est présomptueux de croire que l'intelligence de l'Homme lui permettra toujours de réparer les erreurs commises au nom du progrès. Personne ne sait comment reconstituer la couche d'ozone. Personne ne saurait corriger le réchauffement climatique provoqué par l'effet de serre.
Instruits par l'expérience, nous sommes désormais conscients que le principe de précaution doit s'imposer partout. Mais nous constatons ensemble, avec lucidité et modestie, que beaucoup reste à faire pour que ce principe inspire décisions et actions.
Notre responsabilité, aujourd'hui, c'est de protéger notre planète. L'efficacité de notre action dépendra d'abord de notre volonté commune, de l'impulsion qu'ensemble nous donnerons à ce grand dessein. L'urgence est forte. Porter atteinte à la nature, c'est porter atteinte à l'humanité.
Pour Salaheddine Mezouar, président de la COP22, cette conférence est une « opportunité pour porter la voix des pays les plus vulnérables face aux changements climatiques, en particulier celle des pays africains et des états insulaires. Il est urgent d’agir devant ces enjeux liés à la stabilité et à la sécurité ». Comment peut-on fédérer les acteurs africains autour d’un projet commun, sous l’égide de la présidence marocaine ?
M. FANI : la pauvreté est douloureuse comme une maladie : elle lèse l’individu non seulement matériellement mais aussi moralement. La perte progressive de la dignité fait bientôt place à un complet désespoir.
L’éradication de la pauvreté et le changement des modes de consommation et de production, ainsi que la protection et la gestion des ressources naturelles en vue du développement économique et social, sont des objectifs primordiaux et des conditions absolues du développement durable.
Le profond clivage qui divise la société humaine entre riches et pauvres et le fossé toujours plus large entre le monde développé et le monde en développement font peser une lourde menace sur la prospérité, la sécurité et la stabilité mondiales.
La question d’un partage plus équitable des ressources en eau se pose. La demande en eau sur la planète devrait croître énormément d’ici à 2030. Certaines régions seront confrontées à des problèmes d’accès à cette ressource. Les difficultés concerneront aussi l’assainissement et la gestion durable de « l’or bleu ». Des rivalités, voire des conflits entre Etats, risquent d’éclater. Les enjeux sont de plusieurs ordres : sanitaires, économiques, financiers et politiques, notamment.
Nelson Mandela, dans un discours prononcé dans le cadre du Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, expliquait que l’accès à l’eau correspond à un objectif commun présent au cœur des affaires sociales, économiques et politiques du monde. « Il devrait être un secteur principal de la coopération pour le développement mondial. Sans eau, pas d’avenir ». Les conclusions du Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau en 2016 vont dans le même sens. Pour les spécialistes de l’ONU, « l’eau est un élément essentiel pour l’économie, au niveau national comme au niveau local. Elle est également nécessaire pour la création et le maintien d’emplois dans tous les secteurs de l’économie ». 78% des emplois dans le monde dépendent de l’eau.
La question des migrations climatiques est préoccupante : l'ONU prévoit 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde en 2050. Face à ses prévisions, l’Europe et les Etats-Unis continuent à adopter une approche sécuritaire dans leur traitement des migrants. Comment, à votre avis, peut-on sensibiliser ces pays à considérer la dimension humaine de l’immigration ?
M. FANI : la pauvreté, la destruction de l’environnement, la migration sont à l’échelle mondiale quelques-uns des problèmes les plus urgents de notre époque. Un être humain sur quatre vit avec moins d’un euro par jour, un sur neuf souffre de sous-alimentation chronique et habitant de la planète sur quatre boit de l’eau polluée.
Des disparités aussi flagrantes concernent également la Suisse en tant que pays riche industrialisé. Car là où règnent pauvreté et absence de perspectives, le risque de conflits augmente. Et avec la mondialisation, les conflits ne s’arrêtent plus aux frontières.
Quand les êtres humains peuvent envisager l’avenir avec confiance, les conflits sont plus rares. C’est pourquoi il s’agit d’œuvrer tous ensemble afin d’assurer la paix, la liberté et la sécurité. Il est par ailleurs également vital que les générations futures disposent de suffisamment de ressources pour leur développement.
L’afflux de migrants et de réfugiés cherchant asile en Europe est aujourd’hui principalement causé par les guerres civiles et l’effondrement des Etats au Moyen-Orient, mais le rôle du climat, bien qu’impossible à chiffrer, est plus que probable.
Les obstacles à l’égalité des chances peuvent être de nature structurelle, juridique et
personnelle. Sa promotion doit donc intervenir sur ces trois niveaux.
En définitive, l’intégration ne reposera pas sur les épaules de la société d’accueil, mais largement sur celles des migrants climatiques (réfugiés écologiques) eux-mêmes. Seuls ceux qui y seront prêts pourront compter sur une égalité des chances et une amélioration correspondante de leur situation de vie. De ce point de vue, l’encouragement de l’intégration se résume à aider l'autre pour qu'il s'aide lui-même.
L'Afrique a la chance d’avoir une diaspora diversifiée dans les pays du monde les plus développés. Comment peut-on mobiliser cette diaspora en faveur de la coopération nord-sud et sud-sud ?
M. FANI : crise financière, crise sociale, crise écologique, crise identitaire … les crises à l’échelle planétaire se succèdent à un rythme sans précédent. Elles laisseront des séquelles - c’est inévitable - même si les signes d’une reprise économique encore fragile se font sentir.
Une remise en question de nos processus de production et de nos habitudes de consommation est donc inéluctable.
Le transfert de connaissances et de compétences, les échanges internationaux ou encore la promotion du développement durable dans les milieux économiques et académiques sont autant de pistes de collaboration à approfondir notamment avec la diaspora africaine. Ce sont aussi de véritables jalons sur la voie d’un développement capable de concilier efficacité économique, solidarité sociale et responsabilité écologique.
La diaspora africaine joue un rôle important dans les efforts du développement de l’Afrique. Son action est remarquable dans les activités d’économie sociale où les associations diasporiques prennent des initiatives seules ou en partenariat avec des mouvements associatifs du Nord.
L’implication des compétences de la diaspora africaine ne pourra être engagée sérieusement sur du long terme que si des interlocuteurs fiables sont désignés par les hautes instances dirigeantes de l'Union africaine (UA). Cela permettrait de garantir une bonne gouvernance grâce à des mesures appropriées, et d’assurer un suivi rigoureux pour réussir efficacement le processus de développement.
CCME