L’autonomie des territoires est aujourd’hui une revendication plus au moins partagée, entre les Etats et leurs composantes identitaires endogènes. Impulsée par la décentralisation ou dictée par les impératifs de gouvernance et de paix civile, l’autonomie des territoires varie d’un contexte géopolitique à l’autre. Elle évolue, globalement, autour de trois scénarii dont il est difficile de ne pas s’y référer.
Le premier s’inscrit dans une volonté de démocratisation politique, d’efficacité socioéconomique et de prise de conscience des limites de l’Etat providentiel. Ce premier choix se décline par la décentralisation ou le transfert de compétences moyennant la péréquation budgétaire et dans une organisation égalitaire des territoires. Introduite en France par Gaston Deferre en 1983, au profit des collectivités territoriales dont les prorogatives ont été définies par l’Etat. L’objectif étant l’atténuation du jacobinisme prévalant après la seconde guerre mondiale et la contenance de la diversité territerioculturelle dans l’Europe des régions (Allemagne, Espagne) où ce processus est très avancé.
Le deuxième scénario répond à une volonté de la strate locale de s’affranchir, sur fond de distorsions politiques, de l’Etat nation ou de l’Etat central, par un mode de gouvernance à géométrie variable et d’instances exécutives différenciées. L’égalité des territoires, est alors, remise en cause par l’introduction du principe de la dérogation négociée sous souveraineté de l’Etat central. La Polynésie, Mayotte, la Nouvelle Calédonie incarnent ce compromis, appelé autonomie élargie dans la souveraineté.
Le troisième scénario, sur fond de rupture, est celui de la cession unilatérale tendant explicitement, à l’indépendance. Il se met en œuvre, soit par des accords à l’amiable de cession progressive (Îles des Comores), soit par référendum (Île de Mayotte), soit par la ratification d’un accord, mettant un terme aux cycles de violences (Île de la Nouvelle Calédonie), débouchant sur un compromis politique (Accords de Matignon), et, à terme, prévoyant l’autodétermination par référendum en 2018.
Les Etats, ayant donné une suite favorable aux formes différenciées d’autonomisme, et ayant fait le choix de tel ou tel scénario ont retenu l’option la plus réaliste, acceptable par les protagonistes et garantissant, à la fois, la viabilité et la sécurité des entités territoriales autonomes émergentes, et celle de l’Etat central. Trois grilles de lecture conditionnent la recevabilité de l’autonomisme (les déterminants, les déclinaisons, les exclusions).
Pour les déterminants, les Etats prennent en compte la recevabilité et la légitimité de l’autonomie des territoires basée sur leurs spécificités prononcées et l’incapacité du droit commun à les contenir. La géographie et le contexte géopolitique sont les principaux critères de cette différenciation. L’éloignement, l’excentricité, l’insularité, la continentalité sont les balises structurelles de la marche vers l’autonomie. La relation de la France métropolitaine aux départements et territoires d’outre mer illustre ce cas de figure. Perdu au fin fond du Pacifique, dans l’océan Indien ou dans les Caraïbes, les Îles se tournent, par reflexe, vers leur environnement géographique, géopolitique et culturel proche. « L’indépendance dans l’inter dépendance » dixit Edgar Faure s’impose par ce déterminisme géographique qui a fini, paradoxalement, il y a plus de cinquante ans, par altérer et désintégrer l’empire colonial. Ensuite, vient l’Histoire comme marqueur et/ou catalyseur de cette différenciation. Les territoires, fruit des découvertes géographiques, des changements de souveraineté entre les empires coloniaux, des conquêtes religieuses et des évolutions sociétales dichotomiques et séparées entres les autochtones et les colons (apartheid de fait et non de droit). Enfin, la composante ethnique, linguistique et culturelle en porte le coup de grâce. L’ensemble de ces déterminants, conjugués aux disparités socioéconomiques et du clivage entre l’Etat central et les territoires tentés par l’autonomie en matière du développement humain, finit par stimuler les revendications et discréditer l’hypothèse de la cohabitation ou de la juxtaposition d’entités profondément distinctes, voire antagonistes, en un seul Etat compacte.
Pour les déclinaisons, les Etats proposent ou négocient des schémas d’évolution du processus d’autonomie des territoires, par paliers, afin d’éviter la rupture brutale, synonyme du chao ou de menaces sécuritaires. Au niveau juridique, la dérogation en est la locomotive. Progressivement, les territoires cible se détachent du droit commun en matière de gouvernance (Education, Droit de la famille, Fiscalité, Assemblé territoriale, Gestion des ressources…) cependant, l’Etat continue d’exercer sa souveraineté avec le principe de la non réciprocité. Le cas de la Polynésie est représentatif. L’archipel dispose de sa propre assemblée exécutive, de sa monnaie, indexée sur l’euro. A Mayotte, les principes de la laïcité ne s’y appliquent que peu où 98% de la population est musulmane. Le droit coutumier déroge au code civil. Le passage du statut de territoire au département d’outre mer s’est effectué par référendum local et non par ordonnance.
Pour ce qui est des exclusions, les Etats définissent des lignes rouges, au principe d’autonomie des territoires, à ne pas franchir et qui ne peuvent faire l’objet de négociations. La sécurité nationale, le drapeau, les affaires étrangères, la monnaie, et la défense constituent les domaines réservés des Etats. En Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique, des modèles d’autonomie divers et variés ont été octroyés aux minorités ou aux territoires spécifiques, sans pour autant toucher aux éléments matriciels relevant de la souveraineté. Le modèle français en matière d’autonomie des territoires est riche en expériences, efficace par ses modes de gouvernance et réaliste par la viabilité des formes d’autonomie. Tant au niveau de la métropole (Concordat à Strasbourg, statut du territoire de Belfort, Assemblée Territoriale en Corses) que de l’Outre Mer (Polynésie, Mayotte, Nouvelle Calédonie), toutes ces entités territoriales, dont la légitimité et l’éligibilité à l’autonomie sont avérées, jouissent de statuts de territoires autonomes à géométrie variable. Cependant, l’Etat central n’est pas prêt à faire de ces dérogations concédées une évolution linéaire vers l’indépendance. Beaucoup de départements et territoires d’Outre Mer ont privilégié l’autonomie élargie sous souveraineté française, plutôt qu’une aventure autonomiste pouvant conduire au désastre économique et à la dislocation du cordon sécuritaire et géostratégique.
Aujourd’hui, la viabilité et la sécurité de beaucoup d’Etats en Afrique sont remises en cause de par la porosité des frontières, les tensions communautaires ou confessionnelles, l’ancrage du Jihadisme dans l’arc allant de la Somalie jusqu’à la Mauritanie. Les menaces de sécurité régionale (terrorisme, trafic d’armes, traite humaine) s’imposent aujourd’hui, à la fois, comme déterminants, déclinaisons et exclusions aux projets d’autonomie négociés entre les Etats et les territoires qui y souscrivent en Afrique. L’autonomie élargie, dans la souveraineté, est un gage de l’exercice durable, viable et géopolitiquement acceptable pour les pays dans les zones crisogènes, en particulier dans le no man’s land du Sahara et du Sahel.
Youssef CHIHEB
Université Paris XIII-SORBONNE